À la croisée des chemins
Eberhard Heller
Si l’on pouvait encore avoir le sentiment (notons-le bien : le sentiment !) qu’il y avait quelque chose comme une résistance contre les prétendues réformes vaticanes (il y a belle lurette qu’on ne parle plus de reconstruction de l’Église, de sa restauration comme institution du salut), eh bien, ce sentiment s’est rapidement volatilisé comme la brume sous le soleil depuis l’entrée en fonctions de Ratzinger/Benoît XVI. Presque tous ceux qui auparavant s’étaient montrés critiques vis-à-vis de Jean-Paul II et avaient mis au jour ses comportements insupportables, se sont non seulement réunis pour reconnaître Ratzinger comme occupant légitime de la chaire de Pierre, mais encore ils le considèrent comme un pape conservateur alors que ces mêmes personnes ou groupements avaient émis sur sa théologie des reproches semblables aux nôtres. On a donc trouvé une sorte d’arrangement. Si on pouvait constater sous Jean-Paul II des errements continus aux marges de l’orthodoxie, cela venait du fait que celui-ci produisait suffisamment de scandales et de quoi mettre le feu aux poudres (p.ex. le baiser du Coran, ce qui indiquait pour un musulman la soumission à l’Islam) ; cela ne déclenchait pas seulement la furie des chrétiens conservateurs mais encore l’incompréhension de journalistes vaticanistes parvenus tels que Messori. Sous l’égide de Ratzinger, ces temps des scandales perpétuels font désormais partie du passé…et ont aussi fait disparaître avec eux le « sentiment » d’opposition.
Après donc que les gens d’Écône se sont inclinés devant lui tout en manifestant la prétention de ramener à l’orthodoxie leur pape Benoît XVI, un accord avec ce dernier devrait être prêt pour signature dès avant Pâques. Celui-ci prévoit, paraît-il, d’autoriser à nouveau l’ancienne messe, ce qui ne devrait présenter aucune difficulté pour Ratzinger, lui qui avait d’ailleurs qualifié d’horreurs les réformes liturgiques pendant Vatican II. (En contrepartie, les gens d’Écône devraient arrêter de grogner contre les décisions de Vatican II).
Vu la soumission générale d’aujourd’hui, il est devenu pratiquement impossible de faire encore comprendre à quelqu’un que nous maintenons notre affirmation que Ratzinger n’est pas un pape légitime. Même si l’on nous écoute encore avec quelque intérêt quand nous justifions notre affirmation avec la position théologique de Ratzinger, le reproche d’arianisme ne fait plus d’impression sur personne. On nous dit alors que c’est une pure spéculation théologique qui n’affecte en rien la légitimité de ce pape éduqué, cultivé, avenant, compréhensif et généreux. Eh quoi ! Comment le pourrait-elle d’ailleurs !?
Maintenant, il vient de publier sa première encyclique Deus caritas est dans laquelle il présente de si belles phrases sur l’amour : « ‘‘Dieu est amour, et quiconque demeure dans l’amour, celui-ci demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ’’ (1. Jn 4, 16). Dans ces mots de la première épître de Jean se trouve exprimé avec une clarté remarquable le centre de la foi chrétienne, l’image chrétienne de Dieu et partant l’image de l’homme et de sa voie ». Ou quand il définit à partir de l’amour de Dieu l’être-même de l’Église : « 25. Arrivés à ce point nous reconnaissons fermement deux éléments essentiels à partir de nos réflexions : a) L’être de l’Église s’exprime par une triple mission : prédication de la parole de Dieu (kerygma – martyria), célébration des sacrements (leiturgia), service de l’amour (diakonia). Ce sont des tâches qui se conditionnent les unes les autres et qui ne se laissent pas séparer les unes des autres. Pour l’Église le service de l’amour n’est pas une sorte d’activité de bienfaisance, que l’on pourrait aussi confier à d’autres, mais elle appartient à son être, il est une expression de son être à laquelle il lui est impossible de renoncer. b) L’Église est la famille de Dieu dans le monde. Dans cette famille, il ne doit y avoir personne dans la détresse. Mais en même temps la Caritas-Agape va au-delà des limites de l’Église : la parabole du bon Samaritain reste la référence et commande l’universalité de l’amour, qui se tourne vers celui qui a besoin et que l’on rencontre « par hasard » (cf. Lc 10, 31), qui qu’il soit. Nonobstant cette universalité du commandement de l’amour, il existe bien une mission spécifique de l’Église, à savoir celle de l’Église en tant que famille dans laquelle (www.vatican.va/offices/papal_docs_list_ge.html en français???)
Qui va parler d’hérésie en lisant de telles lignes ? N’est-il pas vrai que Ratzinger réclame ici quelque chose à bon droit, à savoir l’amour du prochain entre les chrétiens et aussi envers les non-chrétiens ? Dans les cercles traditionalistes, où cet amour est-il pratiqué? Je ne fais que penser aux calomnies sans nombre auxquelles on est constamment confronté dans le cercle de ses « amis ».
Et quand on met l’accent sur le fait que l’idée de Ratzinger d’une « polyphonie » des Églises et des dénominations chrétiennes au sein d’une « unité ecclésiale » relativiserait le dépôt de la foi et irait à l’encontre de la revendication d’absolu de l’Église, en dehors de laquelle il n’y a pas de salut, voire dissoudrait en fin de compte cette Église, le catholique moderne se défile en prétextant la vertu chrétienne de modestie, à laquelle Ratzinger aussi doit s’être référé, et selon laquelle ce serait de la prétention que de se considérer comme l’unique possesseur de la Vérité. Ou l’on parle de la liberté de la confession personnelle, de la liberté religieuse. Et de ce point de vue, Ratzinger aurait bien raison de prôner le dialogue entre chrétiens…et naturellement aussi avec les juifs ; à ce sujet, que l’on se réfère à son message au « Card. » Kasper pour le 40e anniversaire de la signature et de l’adoption de Nostra Ætate le 27 octobre de l’année dernière, dans lequel il indique explicitement à Kasper que le « dialogue entre Chrétiens et Juifs » doit être poursuivi.
Et voilà qu’arrive l’autorisation générale de l’ancienne messe, (semblable à l’ouverture d’un musée jusque-là fermé à la visite du tout venant… mais qui, même parmi les clercs, connaît encore cette liturgie ?) ; alors, que reste-t-il encore aux traditionalistes qu’ils puissent exiger ? Rien ! Car de deux choses l’une : soit l’on a focalisé le combat de l’Église sur l’autorisation de l’ancienne messe (en négligeant d’autres aspects de la destruction de l’Église), soit l’on a très bien vu, voire aussi décrit, le saccage organisé, mais l’on n’a pas travaillé à la reconstruction de l’Église et l’on s’est plutôt limité à seulement dire l’ancienne messe, ce qui revient au même. Quand je séjournais en l’an 2000 au Mexique pour expliquer notre adhésion à la déclaration de S. Exc. Mgr. Ngô-dinh-Thuc dans laquelle il était question d’un programme de restauration de l’Église comme institution de salut, le chef de l’union sacerdotale m’a indiqué que l’évêque Pivarunas p. ex. refusait de manière stricte une élection papale et que pour cette raison l’Union Trento ne voulait pas faire cavalier seul dans cette direction.
Face au chef de l’Église conciliaire versé dans la théologie, il apparaît : - que ceux qui se présentent comme sédévacantistes, particulièrement les jeunes clercs, n’ont pas de programme plus ambitieux que de dire l’ancienne messe, - qu’ils ne sont pas intéressés par la reconstruction de l’Église, - que leur volonté missionnaire s’est évanouie (tout comme chez leurs opposants modernistes), ce qui fait que ces clercs ne font que végéter de manière sectaire, chacun avec sa propre clientèle, - et qu’ils n’ont pas surmonté le modernisme, ni théologiquement, ni philosophiquement, en particulier quand celui est présenté d’une manière aussi philosophiquement compétente que chez Ratzinger. Il n’y a pas seulement le fait qu’ils se sont peu ou insuffisamment consacrés à étudier et à contrer les documents conciliaires et les prétendues réformes qui en ont découlé, avec leurs tendances protestantisantes, il y a aussi le fait qu’ils n’ont aucune idée de la raison pour laquelle une telle théologie moderne a bien pu apparaître. 1) On se complaisait trop dans la possession de vérités éternelles et absolues, philosophiquement blotties dans le thomisme, une philosophie qui, cependant, ne pouvait plus suffire à une pensée systématique et à des exigences de la théorie de la connaissance, c’est-à-dire à une explication du savoir telle que Fichte a essayé de la présenter dans ses différentes versions de la « théorie de la science ». En outre, la rumeur s’est propagée selon laquelle les colonnes éternelles du thomisme, ses preuves de Dieu, les fameuses « quinque viae », commençaient à chanceler : tout étudiant de deuxième année de philosophie peut les démasquer comme des tautologies. Sur ce plan, on avait besoin d’un éclaircissement.
Maintenant, il est aisé de démontrer que la conception de Ratzinger au sujet de la filiation divine du Christ est imprégnée d’arianisme. Mais que voulait Ratzinger ? Il voulait expliquer le dogme des deux natures en Jésus-Christ (l’Être-Dieu et l’Être-Homme) avec les catégories hégéliennes Être, Non-Être, Devenir. Dieu = Être, Homme = Non-Être, Fils de Dieu = Devenir dans l’accomplissement et l’appropriation de la volonté paternelle.
Qu’on ne commence pas maintenant à polémiquer contre Hegel ! Si on veut faire quelque chose, on doit l’étudier afin de pouvoir s’affirmer contre lui. Les deux directions, tant la scholastique médiévale que la théologie fondamentale moderne, ont adapté un concept philosophique dans un but d’interprétation théologique. Pour ravir à l’Islam sa supériorité philosophique alors que celui-ci était en train de pénétrer l’Europe, et particulièrement l’Espagne occupée par les Maures, St Albert et plus tard St Thomas ont intégré, sur ordre papal, des concepts aristotéliciens dans la théologie chrétienne, ce qui à l’époque fut ressenti parfois comme hérétique, par exemple par St Bonaventure. La scholastique n’offrait pas aux modernistes de système propre et ceux-ci, à partir de la théologie fondamentale, ne développèrent pas non plus de manière originale une philosophie de la religion qui les auraient amenés à un système philosophique cohérent ; en revanche ils adaptèrent les schémas hégéliens…avec le « succès » qu’on a indiqué.
Aujourd’hui, nous nous trouvons définitivement à un tournant. Le modèle Ratzinger a dévoilé toute la vacuité des prétendus sédévacantistes et les a démasqués comme de simples traditionalistes et des sectaires, même si quelques uns dans leurs discours sont allés au-delà du simple conservatisme. Bien peu ont interprété mes « remarques inamicales » dans le cahier de décembre de l’an dernier en disant que je crachais dans la soupe. Beaucoup les ont comprises comme elles devaient l’être : il s’agissait d’un marquage de frontière clair.
Vous, honorable lecteur, ne voulez pas le croire? Vous pensez qu’il y a eu un vrai travail constructif qui a conduit à la formation de paroisses chrétiennes ? Peut-être, mais alors de manière complètement isolée. Essayez donc un jour d’amener à la messe une de vos connaissances qui s’intéresse à l’ancienne liturgie. Où donc voulez-vous l’amener ? Ou bien l’on doit supporter la honte de lui présenter comme « église » une simple auberge (avec tous les bruits parasites que cela comporte), ou bien souvent on l’amène dans une église où il faut prier auparavant les visiteurs féminins de se changer ou de se déguiser, car sans foulard sur la tête, il n’y a pas moyen d’entrer. On ne peut pas en vouloir à quelqu’un qui vient de l’extérieur s’il considère tout ce bazar comme un refuge de momies ou comme du sectarisme. Et quand des clercs, vraiment préoccupés par le bien des âmes, rendent le « système » perméable et renoncent à un rigorisme vestimentaire formel, ils se font calomnier comme « libéraux ».
Que va-t-il donc se passer quand Ratzinger autorisera l’ancienne messe de manière générale ? Ça va être la fin de tous les groupuscules catholicisants. Car les fidèles qui s’intéressent encore à l’ancienne liturgie vont y assister là où elle est ouvertement célébrée par un prêtre dans une église. Oui, mais alors, cette assistance serait inacceptable, vu qu’elle aurait lieu dans le cadre de « l’église officielle », pourrait-on objecter. Mais dites donc, mon révérend père, avez-vous donc bien expliqué la situation à ces fidèles ? Leur avez-vous dit que cette objection est aussi valable pour les messes dites par les gens d’Écône ? Avez-vous proposé une véritable alternative, avez-vous édifié une paroisse avec une catéchèse continue ?
Pour éviter toute incompréhension : je parle ici de clercs, qui jusqu’à maintenant ont célébré la messe dans les divers centres. Je ne parle pas ici de l’armée de gyrovagues et de « porteurs de mitres », aux sacres invalides ou douteux, qui n’ont absolument aucun intérêt à la résolution de l’incroyable crise spirituelle, qu’ils n’ont même pas remarquée dans la plupart des cas, de ces individus sans formation qui se réfèrent à la prétendue « Ligne-Thuc » pour dissimuler leurs agissements et leur donner une justification religieuse. Et cette armée de gyrovagues devient plus nombreuse de jour en jour. De tous côtés émergent des imitateurs du manipulateur Roux (aussi connu sous le nom de Mgr Tartuffe), qui a tout simplement falsifié des certificats d’ordinations et de sacres, pour se faire passer pour évêque et qui s’est laissé conférer par le pseudo « Saint Synode Orthodoxe des Indes » (sic) le merveilleux titre de « Prince Jean (Gérard Charles Laurent) Roux Laurenti Lascaris Vintimiglia Commene Negri Maggi, Grand Prince de Numidie, Mauritanie et Cyrénaïque, Prince de Mélitène, évêque titulaire syro orthodoxe d’Ascolon » (cf. http://www.geocities.com/Paris/8919/html/tartuffe/curricul.htm).
Pour résumer : seuls quelques clercs et une série de laïcs vivants dans la diaspora manifestent une véritable résistance ; ils ont aussi la volonté de reconstruire, ne courbent pas le dos devant le pape de la culture et ne l’encensent pas.
Il faut que ces prêtres et ces fidèles se manifestent, pour s’unir dans une forme commune de survie spirituelle. J’ai donc évoqué, s’il y avait suffisamment d’intérêt pour cela, de discuter des étapes à venir avec ce cercle de chrétiens conscients, dans le cadre d’une conférence prévue pour l’automne de cette année. Dans cet ordre d’idée, je vous prie, cher lecteur, de me faire connaître votre prise de position.
De la réussite de cette tentative d’un mouvement pour le maintien de la foi chrétienne dépend aussi l’avenir du présent organe d’informations. Doit-il donc changer ? Doit-il ne paraître que comme une circulaire, une feuille de communication ou une bourse aux nouvelles dans un cercle de communication restreint ? Même si toute une série de lecteurs de EINSICHT ne restent pas sans participer, mais utilisent les articles de cette publication pour déchiffrer les vrais signes, c’est-à-dire les signes spirituels et religieux du temps et de l’effondrement, EINSICHT se conçoit avant tout comme un organe de la résistance et de la reconstruction. Dans cette optique aussi j’attends vos propositions.
Espérons et prions que Dieu, dans cette détresse, nous donne son soutien, malgré toutes les difficultés et les faiblesses personnelles.
Remarque : 1) Au lieu d’étudier les bases théoriques du modernisme, ce qui impliquerait de s'appliquer à étudier l'illuminisme (car c'est bien lui qui est la source des idées qui ont fait la révolution par en haut au Vatican, et pas le judaïsme!) certains auteurs se sont diriges vers les bas-fonds d'une prétendue explication des coulisses de l'histoire et ont produit une bouillie littéraire conçue pour appâter la curiosité des lecteurs et dont la présentation devrait plutôt être qualifiée de pornographie spirituelle et dont la lecture devrait normalement être confessée.
À la croisée des chemins
Eberhard Heller
Si l’on pouvait encore avoir le sentiment (notons-le bien : le sentiment !) qu’il y avait quelque chose comme une résistance contre les prétendues réformes vaticanes (il y a belle lurette qu’on ne parle plus de reconstruction de l’Église, de sa restauration comme institution du salut), eh bien, ce sentiment s’est rapidement volatilisé comme la brume sous le soleil depuis l’entrée en fonctions de Ratzinger/Benoît XVI. Presque tous ceux qui auparavant s’étaient montrés critiques vis-à-vis de Jean-Paul II et avaient mis au jour ses comportements insupportables, se sont non seulement réunis pour reconnaître Ratzinger comme occupant légitime de la chaire de Pierre, mais encore ils le considèrent comme un pape conservateur alors que ces mêmes personnes ou groupements avaient émis sur sa théologie des reproches semblables aux nôtres. On a donc trouvé une sorte d’arrangement. Si on pouvait constater sous Jean-Paul II des errements continus aux marges de l’orthodoxie, cela venait du fait que celui-ci produisait suffisamment de scandales et de quoi mettre le feu aux poudres (p.ex. le baiser du Coran, ce qui indiquait pour un musulman la soumission à l’Islam) ; cela ne déclenchait pas seulement la furie des chrétiens conservateurs mais encore l’incompréhension de journalistes vaticanistes parvenus tels que Messori. Sous l’égide de Ratzinger, ces temps des scandales perpétuels font désormais partie du passé…et ont aussi fait disparaître avec eux le « sentiment » d’opposition.
Après donc que les gens d’Écône se sont inclinés devant lui tout en manifestant la prétention de ramener à l’orthodoxie leur pape Benoît XVI, un accord avec ce dernier devrait être prêt pour signature dès avant Pâques. Celui-ci prévoit, paraît-il, d’autoriser à nouveau l’ancienne messe, ce qui ne devrait présenter aucune difficulté pour Ratzinger, lui qui avait d’ailleurs qualifié d’horreurs les réformes liturgiques pendant Vatican II. (En contrepartie, les gens d’Écône devraient arrêter de grogner contre les décisions de Vatican II).
Vu la soumission générale d’aujourd’hui, il est devenu pratiquement impossible de faire encore comprendre à quelqu’un que nous maintenons notre affirmation que Ratzinger n’est pas un pape légitime. Même si l’on nous écoute encore avec quelque intérêt quand nous justifions notre affirmation avec la position théologique de Ratzinger, le reproche d’arianisme ne fait plus d’impression sur personne. On nous dit alors que c’est une pure spéculation théologique qui n’affecte en rien la légitimité de ce pape éduqué, cultivé, avenant, compréhensif et généreux. Eh quoi ! Comment le pourrait-elle d’ailleurs !?
Maintenant, il vient de publier sa première encyclique Deus caritas est dans laquelle il présente de si belles phrases sur l’amour : « ‘‘Dieu est amour, et quiconque demeure dans l’amour, celui-ci demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ’’ (1. Jn 4, 16). Dans ces mots de la première épître de Jean se trouve exprimé avec une clarté remarquable le centre de la foi chrétienne, l’image chrétienne de Dieu et partant l’image de l’homme et de sa voie ». Ou quand il définit à partir de l’amour de Dieu l’être-même de l’Église : « 25. Arrivés à ce point nous reconnaissons fermement deux éléments essentiels à partir de nos réflexions :
a) L’être de l’Église s’exprime par une triple mission : prédication de la parole de Dieu (kerygma – martyria), célébration des sacrements (leiturgia), service de l’amour (diakonia). Ce sont des tâches qui se conditionnent les unes les autres et qui ne se laissent pas séparer les unes des autres. Pour l’Église le service de l’amour n’est pas une sorte d’activité de bienfaisance, que l’on pourrait aussi confier à d’autres, mais elle appartient à son être, il est une expression de son être à laquelle il lui est impossible de renoncer.
b) L’Église est la famille de Dieu dans le monde. Dans cette famille, il ne doit y avoir personne dans la détresse. Mais en même temps la Caritas-Agape va au-delà des limites de l’Église : la parabole du bon Samaritain reste la référence et commande l’universalité de l’amour, qui se tourne vers celui qui a besoin et que l’on rencontre « par hasard » (cf. Lc 10, 31), qui qu’il soit. Nonobstant cette universalité du commandement de l’amour, il existe bien une mission spécifique de l’Église, à savoir celle de l’Église en tant que famille dans laquelle (www.vatican.va/offices/papal_docs_list_ge.html en français???)
Qui va parler d’hérésie en lisant de telles lignes ? N’est-il pas vrai que Ratzinger réclame ici quelque chose à bon droit, à savoir l’amour du prochain entre les chrétiens et aussi envers les non-chrétiens ? Dans les cercles traditionalistes, où cet amour est-il pratiqué? Je ne fais que penser aux calomnies sans nombre auxquelles on est constamment confronté dans le cercle de ses « amis ».
Et quand on met l’accent sur le fait que l’idée de Ratzinger d’une « polyphonie » des Églises et des dénominations chrétiennes au sein d’une « unité ecclésiale » relativiserait le dépôt de la foi et irait à l’encontre de la revendication d’absolu de l’Église, en dehors de laquelle il n’y a pas de salut, voire dissoudrait en fin de compte cette Église, le catholique moderne se défile en prétextant la vertu chrétienne de modestie, à laquelle Ratzinger aussi doit s’être référé, et selon laquelle ce serait de la prétention que de se considérer comme l’unique possesseur de la Vérité. Ou l’on parle de la liberté de la confession personnelle, de la liberté religieuse. Et de ce point de vue, Ratzinger aurait bien raison de prôner le dialogue entre chrétiens…et naturellement aussi avec les juifs ; à ce sujet, que l’on se réfère à son message au « Card. » Kasper pour le 40e anniversaire de la signature et de l’adoption de Nostra Ætate le 27 octobre de l’année dernière, dans lequel il indique explicitement à Kasper que le « dialogue entre Chrétiens et Juifs » doit être poursuivi.
Et voilà qu’arrive l’autorisation générale de l’ancienne messe, (semblable à l’ouverture d’un musée jusque-là fermé à la visite du tout venant… mais qui, même parmi les clercs, connaît encore cette liturgie ?) ; alors, que reste-t-il encore aux traditionalistes qu’ils puissent exiger ? Rien ! Car de deux choses l’une : soit l’on a focalisé le combat de l’Église sur l’autorisation de l’ancienne messe (en négligeant d’autres aspects de la destruction de l’Église), soit l’on a très bien vu, voire aussi décrit, le saccage organisé, mais l’on n’a pas travaillé à la reconstruction de l’Église et l’on s’est plutôt limité à seulement dire l’ancienne messe, ce qui revient au même. Quand je séjournais en l’an 2000 au Mexique pour expliquer notre adhésion à la déclaration de S. Exc. Mgr. Ngô-dinh-Thuc dans laquelle il était question d’un programme de restauration de l’Église comme institution de salut, le chef de l’union sacerdotale m’a indiqué que l’évêque Pivarunas p. ex. refusait de manière stricte une élection papale et que pour cette raison l’Union Trento ne voulait pas faire cavalier seul dans cette direction.
Face au chef de l’Église conciliaire versé dans la théologie, il apparaît :
- que ceux qui se présentent comme sédévacantistes, particulièrement les jeunes clercs, n’ont pas de programme plus ambitieux que de dire l’ancienne messe, - qu’ils ne sont pas intéressés par la reconstruction de l’Église, - que leur volonté missionnaire s’est évanouie (tout comme chez leurs opposants modernistes), ce qui fait que ces clercs ne font que végéter de manière sectaire, chacun avec sa propre clientèle, - et qu’ils n’ont pas surmonté le modernisme, ni théologiquement, ni philosophiquement, en particulier quand celui est présenté d’une manière aussi philosophiquement compétente que chez Ratzinger.
Il n’y a pas seulement le fait qu’ils se sont peu ou insuffisamment consacrés à étudier et à contrer les documents conciliaires et les prétendues réformes qui en ont découlé, avec leurs tendances protestantisantes, il y a aussi le fait qu’ils n’ont aucune idée de la raison pour laquelle une telle théologie moderne a bien pu apparaître. 1) On se complaisait trop dans la possession de vérités éternelles et absolues, philosophiquement blotties dans le thomisme, une philosophie qui, cependant, ne pouvait plus suffire à une pensée systématique et à des exigences de la théorie de la connaissance, c’est-à-dire à une explication du savoir telle que Fichte a essayé de la présenter dans ses différentes versions de la « théorie de la science ». En outre, la rumeur s’est propagée selon laquelle les colonnes éternelles du thomisme, ses preuves de Dieu, les fameuses « quinque viae », commençaient à chanceler : tout étudiant de deuxième année de philosophie peut les démasquer comme des tautologies. Sur ce plan, on avait besoin d’un éclaircissement.
Maintenant, il est aisé de démontrer que la conception de Ratzinger au sujet de la filiation divine du Christ est imprégnée d’arianisme. Mais que voulait Ratzinger ? Il voulait expliquer le dogme des deux natures en Jésus-Christ (l’Être-Dieu et l’Être-Homme) avec les catégories hégéliennes Être, Non-Être, Devenir. Dieu = Être, Homme = Non-Être, Fils de Dieu = Devenir dans l’accomplissement et l’appropriation de la volonté paternelle.
Qu’on ne commence pas maintenant à polémiquer contre Hegel ! Si on veut faire quelque chose, on doit l’étudier afin de pouvoir s’affirmer contre lui. Les deux directions, tant la scholastique médiévale que la théologie fondamentale moderne, ont adapté un concept philosophique dans un but d’interprétation théologique. Pour ravir à l’Islam sa supériorité philosophique alors que celui-ci était en train de pénétrer l’Europe, et particulièrement l’Espagne occupée par les Maures, St Albert et plus tard St Thomas ont intégré, sur ordre papal, des concepts aristotéliciens dans la théologie chrétienne, ce qui à l’époque fut ressenti parfois comme hérétique, par exemple par St Bonaventure. La scholastique n’offrait pas aux modernistes de système propre et ceux-ci, à partir de la théologie fondamentale, ne développèrent pas non plus de manière originale une philosophie de la religion qui les auraient amenés à un système philosophique cohérent ; en revanche ils adaptèrent les schémas hégéliens…avec le « succès » qu’on a indiqué.
Aujourd’hui, nous nous trouvons définitivement à un tournant. Le modèle Ratzinger a dévoilé toute la vacuité des prétendus sédévacantistes et les a démasqués comme de simples traditionalistes et des sectaires, même si quelques uns dans leurs discours sont allés au-delà du simple conservatisme. Bien peu ont interprété mes « remarques inamicales » dans le cahier de décembre de l’an dernier en disant que je crachais dans la soupe. Beaucoup les ont comprises comme elles devaient l’être : il s’agissait d’un marquage de frontière clair.
Vous, honorable lecteur, ne voulez pas le croire? Vous pensez qu’il y a eu un vrai travail constructif qui a conduit à la formation de paroisses chrétiennes ? Peut-être, mais alors de manière complètement isolée. Essayez donc un jour d’amener à la messe une de vos connaissances qui s’intéresse à l’ancienne liturgie. Où donc voulez-vous l’amener ? Ou bien l’on doit supporter la honte de lui présenter comme « église » une simple auberge (avec tous les bruits parasites que cela comporte), ou bien souvent on l’amène dans une église où il faut prier auparavant les visiteurs féminins de se changer ou de se déguiser, car sans foulard sur la tête, il n’y a pas moyen d’entrer. On ne peut pas en vouloir à quelqu’un qui vient de l’extérieur s’il considère tout ce bazar comme un refuge de momies ou comme du sectarisme. Et quand des clercs, vraiment préoccupés par le bien des âmes, rendent le « système » perméable et renoncent à un rigorisme vestimentaire formel, ils se font calomnier comme « libéraux ».
Que va-t-il donc se passer quand Ratzinger autorisera l’ancienne messe de manière générale ? Ça va être la fin de tous les groupuscules catholicisants. Car les fidèles qui s’intéressent encore à l’ancienne liturgie vont y assister là où elle est ouvertement célébrée par un prêtre dans une église. Oui, mais alors, cette assistance serait inacceptable, vu qu’elle aurait lieu dans le cadre de « l’église officielle », pourrait-on objecter. Mais dites donc, mon révérend père, avez-vous donc bien expliqué la situation à ces fidèles ? Leur avez-vous dit que cette objection est aussi valable pour les messes dites par les gens d’Écône ? Avez-vous proposé une véritable alternative, avez-vous édifié une paroisse avec une catéchèse continue ?
Pour éviter toute incompréhension : je parle ici de clercs, qui jusqu’à maintenant ont célébré la messe dans les divers centres. Je ne parle pas ici de l’armée de gyrovagues et de « porteurs de mitres », aux sacres invalides ou douteux, qui n’ont absolument aucun intérêt à la résolution de l’incroyable crise spirituelle, qu’ils n’ont même pas remarquée dans la plupart des cas, de ces individus sans formation qui se réfèrent à la prétendue « Ligne-Thuc » pour dissimuler leurs agissements et leur donner une justification religieuse. Et cette armée de gyrovagues devient plus nombreuse de jour en jour. De tous côtés émergent des imitateurs du manipulateur Roux (aussi connu sous le nom de Mgr Tartuffe), qui a tout simplement falsifié des certificats d’ordinations et de sacres, pour se faire passer pour évêque et qui s’est laissé conférer par le pseudo « Saint Synode Orthodoxe des Indes » (sic) le merveilleux titre de « Prince Jean (Gérard Charles Laurent) Roux Laurenti Lascaris Vintimiglia Commene Negri Maggi, Grand Prince de Numidie, Mauritanie et Cyrénaïque, Prince de Mélitène, évêque titulaire syro orthodoxe d’Ascolon » (cf. http://www.geocities.com/Paris/8919/html/tartuffe/curricul.htm).
Pour résumer : seuls quelques clercs et une série de laïcs vivants dans la diaspora manifestent une véritable résistance ; ils ont aussi la volonté de reconstruire, ne courbent pas le dos devant le pape de la culture et ne l’encensent pas.
Il faut que ces prêtres et ces fidèles se manifestent, pour s’unir dans une forme commune de survie spirituelle. J’ai donc évoqué, s’il y avait suffisamment d’intérêt pour cela, de discuter des étapes à venir avec ce cercle de chrétiens conscients, dans le cadre d’une conférence prévue pour l’automne de cette année. Dans cet ordre d’idée, je vous prie, cher lecteur, de me faire connaître votre prise de position.
De la réussite de cette tentative d’un mouvement pour le maintien de la foi chrétienne dépend aussi l’avenir du présent organe d’informations. Doit-il donc changer ? Doit-il ne paraître que comme une circulaire, une feuille de communication ou une bourse aux nouvelles dans un cercle de communication restreint ? Même si toute une série de lecteurs de EINSICHT ne restent pas sans participer, mais utilisent les articles de cette publication pour déchiffrer les vrais signes, c’est-à-dire les signes spirituels et religieux du temps et de l’effondrement, EINSICHT se conçoit avant tout comme un organe de la résistance et de la reconstruction. Dans cette optique aussi j’attends vos propositions.
Espérons et prions que Dieu, dans cette détresse, nous donne son soutien, malgré toutes les difficultés et les faiblesses personnelles.
Remarque : 1) Au lieu d’étudier les bases théoriques du modernisme, ce qui impliquerait de s'appliquer à étudier l'illuminisme (car c'est bien lui qui est la source des idées qui ont fait la révolution par en haut au Vatican, et pas le judaïsme!) certains auteurs se sont diriges vers les bas-fonds d'une prétendue explication des coulisses de l'histoire et ont produit une bouillie littéraire conçue pour appâter la curiosité des lecteurs et dont la présentation devrait plutôt être qualifiée de pornographie spirituelle et dont la lecture devrait normalement être confessée.
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