Ma rencontre avec S.E. Mgr. Pierre Martin Ngô-dinh-Thuc
par Eberhard Heller Traduit par Olivier Sénégas
Ces dernières années, il est arrivé de plus en plus souvent que des lecteurs d´Einsicht du monde entier m´interrogent sur la personne de S.E. Mgr Ngô-dinh-Thuc et sur ses relations avec des personnes du cercle d´amis. Ils voulaient notamment savoir quelle relation j´avais eue avec lui, quelles expériences il avait lui-même eues avec moi lorsqu´il était notre invité à Munich pour quelques mois. Jusqu´à présent, j´ai été plutôt réticent à répondre aux différentes demandes, car les événements auxquels les lecteurs s´intéressaient remontaient parfois à plus de 45 ans. Et que l´on me pardonne si je dis que certaines choses sont tombées dans l´oubli entre-temps. C´est pourquoi j´ai refusé jusqu´à présent de décrire des expériences personnelles avec l´archevêque durant cette période - c´est-à-dire de la période entourant la publication de la "Declaratio" - en plus des prises de position officielles sur les événements de l´époque, publiées dans Einsicht et qui couvraient les événements importants pour l´Église.
J´avais moi-même envisagé de raconter comment s´étaient déroulées certaines des luttes de l´Église à travers mon expérience personnelle - avec tous les hauts, mais aussi toutes les amères déceptions -, mais j´ai ensuite renoncé à cette idée, car un tel récit aurait trop facilement pu éclipser les événements essentiels et leur traitement théologique - par exemple les ordinations que l´archevêque avait conférées.
Mais comme l´image de l´archevêque que se sont forgés certains croyants dans les milieux conservateurs, en particulier aux Etats-Unis et en France, regorge de ressentiments et de préjugés injustifiés, on m´a récemment demandé de corriger cette image déformée d´une personne qui a marqué et fait progresser nos actions ecclésiales de manière décisive. Parmi ces réalisations extraordinaires, on peut citer la déclaration de vacance du Siège romain, la garantie de la succession apostolique, l´impulsion donnée à la restauration de l´Église. Afin de nettoyer cette image, qui a été si souvent traînée dans la boue, de tout manque de confiance et d´arrogance, j´ai finalement décidé de mettre sur papier ce que j´ai vécu avec l´archevêque. Même si l´écart temporel est énorme et que je suis conscient que ces notes souffrent de mon oubli et qu´elles ne peuvent donc servir que de fragments, j´espère néanmoins redresser l´image déformée qui existe dans l´esprit des critiques, qui sont tous étrangers aux conditions de l´époque et aux difficultés qui y sont liées. On m´a demandé de relater mes expériences avec S.E. Ngô-dinh-Thuc parce que j´étais l´un des rares témoins de l´époque dont on savait qu´il avait entretenu pendant un certain temps des relations étroites avec l´archevêque, puisque le seul document important pour l´histoire de l´Eglise de l´ère post-Vatican II, la "Declaratio", a été rédigé sur le bureau de ma fille Klara. Si ces lignes peuvent donc contribuer à sauver l´honneur de la personne de Mgr Thuc, elles auront atteint leur but. Je me lance dans ce travail, tout en sachant qu´il sera très incomplet, et je m´excuse par avance, chers lecteurs, de ne vous livrer que des bribes de cette période riche en expériences, qui pourrait en fait fournir suffisamment de matière pour un roman d´aventures. Nous avons cherché à entrer en contact avec Mgr Thuc après avoir lu son document sur les consécrations épiscopales de Palmar de Troya : l´Église était à bout de souffle, les évêques locaux ne faisaient plus leur devoir, il y avait généralement une telle détresse que des mesures exceptionnelles étaient justifiées. Nous pensions de même sur de nombreux points.
Notre attention - celle de M. Lauth, de M. Hiller et de moi-même - sur l´archevêque était donc motivée par les raisons qu´il nous avait données pour justifier les consécrations qu´il avait conférées à certains membres du clergé à Palmar de Troya. Nous nous sommes intéressés à la motivation que Mgr Thuc avait rédigée à l´occasion de cet acte. Ce n´était pas comme si nous avions approuvé ces consécrations - qui étaient les candidats qui n´avaient pas joué de rôle dans notre combat ecclésial jusqu´à présent ? - C´était l´analyse théologique et ecclésiale qui était à la base de ce document. Mgr Thuc a partagé avec nous son inquiétude quant à l´extinction de la succession apostolique, mise en danger par le nouveau rite de consécration des évêques, raison pour laquelle il a procédé aux ordinations. (Après que Clemente Domínguez y Gómez se soit déclaré pape de la secte Troya, l´archevêque a pris formellement ses distances avec ce groupe).
Nous avons vite compris qu´il nous fallait prendre contact avec cet archevêque, dont notre garant des affaires romaines nous a dit qu´il était en fait une personne très réservée, ce qui explique que l´acte des consécrations à Palmar de Troya ait suscité un grand étonnement, mais aussi de vives critiques qui ont été amplifiées jusqu´à faire scandale. Mais comment entrer en contact avec une personne dont nous n´avions ni l´adresse ni le numéro de téléphone ? Je vais être bref : j´ai sacrifié une grande partie de mes vacances annuelles à des recherches, pour finalement entrer en contact avec une certaine Madame Wolf de la Sarre, qui nous a communiqué l´adresse de l´archevêque Thuc. Il habitait à Toulon, dans le sud de la France, dans des conditions assez modestes. Le contact a été établi, d´abord par lettre, puis personnellement. Les échanges de lettres ont été très discrets. Pendant longtemps, personne n´a été au courant de nos échanges avec l´archevêque, car nous souhaitions qu´il consacre un évêque pour diriger notre résistance. Nous avions déjà demandé en vain à Mgr Lefebvre de diriger la résistance contre le modernisme, mais il avait rejeté notre demande en disant sarcastiquement qu´il y avait à Lima un évêque marié qui soutiendrait peut-être notre demande.
Nous avions rapidement choisi le Révérend Père Otto Katzer comme candidat à l´épiscopat et nous en avions discuté avec lui lors d´entretiens très discrets à l´occasion de différentes visites ici à Munich. Katzer était alors professeur au séminaire de Weissbad, fondé par Mgr Lefebvre. Mais nous ne pouvions conclure les derniers accords que par téléphone, c´est pourquoi nous devions lui demander d´utiliser pour cela une cabine téléphonique publique, car les conversations seraient écoutées par les écônistes et leurs collaborateurs. Lui qui avait connu le système d´espionnage communiste du temps où il travaillait dans l´ancienne Tchécoslovaquie communiste, il avait du mal à imaginer que le même système était appliqué ici, dans l´Ouest dit libre.
Au cours de l´été 1978, nous avons rendu visite pour la première fois à l´archevêque Thuc à Toulon, en compagnie du Révérend Père Katzer. Lors de notre première rencontre, nous avons également invité Mme Wolf, qui nous avait également aidé à "ouvrir la porte". Elle avait été notre "guide" vers le domicile de Thuc. Mais elle n´a pas été mise au courant de nos véritables préoccupations et de nos projets ecclésiastiques. De Munich, Monsieur Hiller et moi-même nous sommes d´abord rendus à Genève, d´où nous sommes allés chercher le R.P. Katzer à l´aérodrome local et avons poursuivi avec lui notre vol vers Nice. Le R .P. Katzer était notre candidat, que nous connaissions depuis des années, qui avait contribué à définir le cap de la revue Einsicht en tant que théologien de premier plan et à qui nous avions demandé de se tenir prêt pour une éventuelle consécration épiscopale. A Toulon, nous avons rencontré Mme Wolf, qui avait fait le voyage en train depuis la Sarre.
La visite à l´archevêque a été, de notre point de vue, très fructueuse. Le R.P. Katzer, qui parlait couramment presque toutes les langues européennes, a mené l´entretien en français. Presque tous les sujets pertinents ont été abordés : la situation générale désastreuse de l´Eglise, les passages hérétiques dans les nouveaux rites qui les rendaient invalides, le rôle déterminant de Paul VI dans les décisions du Concile, responsable du rapprochement théologique avec le protestantisme. Le problème des éventuelles consécrations épiscopales a été abordé dès la première visite : Lui, Thuc, pourrait éventuellement consacrer d´autres prêtres, car il partageait notre souci de préserver la succession apostolique. Nous avons découvert en lui un prélat spirituellement souverain, immensément cultivé, dont la dignité éclipse la pauvreté de sa situation domestique et la fait oublier par son humour. Pour le dîner, l´archevêque nous a conduits dans son restaurant habituel, où il a été reçu comme un membre de la famille. Mais bientôt, le repas a commencé avec des baguettes - c´était la coutume... et nous ne voulions pas nous exposer. Mais peut-être aurions-nous mieux fait de nous entraîner à utiliser les baguettes à la maison. En tout cas, l´archevêque a pris plaisir à nous observer pendant nos tentatives de manger. Madame Wolf s´est tellement énervée qu´on lui a finalement remis ses couverts habituels.
Avec le R.P. Katzer, nous avons encore fait une promenade dans Toulon la nuit, avec sa grande rade où un porte-avions français avait accosté. Nous avons parlé une nouvelle fois de ce que nous avions obtenu lors des entretiens avec l´archevêque.
La messe du lendemain matin, lue par l´archevêque, a été suivie d´un simple petit déjeuner. Mgr Thuc avait acheté des cornflakes sur l´emballage desquels était imprimée une histoire. Tout à fait séduit, il a déclaré que le fabricant s´intéressait non seulement au bien-être physique, mais aussi au bien-être spirituel. Les adieux se sont déroulés sans sentiment : "au revoir". C´est tout. Je lui ai encore demandé de nous donner la bénédiction pour notre voyage de retour... et notre première rencontre s´est terminée. Nous avons pris le train jusqu´à Nice, puis l´avion jusqu´à Gênes - pour le R.P. Katzer - et pour nous jusqu´à Munich, où nous avons été accueillis avec impatience. Je me demande si l´archevêque avait accepté une consécration épiscopale... etc. Malheureusement, le R.P. Katzer est décédé de manière inattendue le 18 juin 1979, peut-être à cause d´une surcharge de travail lors de ses voyages pastoraux. Plus tard, lorsque nous avons demandé à l´archevêque pourquoi il n´avait pas consacré Katzer, il nous a répondu laconiquement : "Il m´a parlé mais ne m´a rien demandé".
Après la mort de Katzer, la question s´est à nouveau posée de savoir qui nous pourrions présenter à l´archevêque comme candidat à l´épiscopat. Il devait s´agir d´une personnalité qui avait fait ses preuves en tant que prêtre et théologien dans le combat de l´Eglise. Finalement, Lauth, Hiller et moi sommes parvenus à la conclusion qu´il fallait proposer le Père Michel Guérard des Lauriers O.P., un dominicain français, comme candidat. Le père jouissait d´une position importante dans l´enseignement catholique. Depuis 1933, il fut professeur de philosophie à l´université dominicaine du Saulchoir près de Paris, puis à Rome, à l´Angelicum et à l´Université du Latran. Guérard des Lauriers fut également conseiller pour le nouveau dogme marial de 1950 proclamé par Pie XII. Il s´était fait un nom en pénétrant théologiquement les doctrines modernistes au lendemain de Vatican II. Des Lauriers a été l´auteur principal du mémoire "Bref examen critique du Nouvel Ordo Missae", soutenu par les cardinaux Ottaviani et Bacci. Il était connu de nombreux lecteurs pour ses publications dans la revue EINSICHT. Mais ne s´était-il pas "emmêlé les pinceaux" théologiquement avec sa thèse du "Papa materialiter non formaliter" (le pape - Paul VI - est certes pape materialiter, mais pas du point de vue de la forme à cause des hérésies qu´il défend) et n´avait-il pas inutilement alourdi le combat de l´Église et provoqué des remous néfastes ? Nous avons néanmoins pris contact personnellement avec lui. Nous lui avons présenté notre demande de se faire consacrer évêque. Dans une lettre extrêmement belle et simple, il nous a remerciés de notre proposition. Il a accepté de traiter ce projet avec discrétion. Il devait prendre contact avec Thuc et lui présenter sa demande. Il ne devait pas subir le même sort que le R.P. Katzer, qui n´avait pas présenté son désir de consécration à l´archevêque. Entre-temps, Lauth voulait montrer au père, lors d´une visite, le caractère insoutenable de sa thèse étrange du "Papa materialiter non formaliter" et l´aider à changer d´avis. Lauth revint de son voyage à Paris en affirmant que Guérard des Lauriers avait pris ses distances par rapport à sa thèse du demi-Saint-Père et qu´il s´était rallié à notre position sur la vacance du Saint-Siège motivée par le "Papa haereticus". Malheureusement, il s´est avéré plus tard - immédiatement après la consécration – que Lauth nous avait tout simplement menti. Le père dominicain n´avait en aucun cas changé de position et l´a défendue avec véhémence par la suite. Nous avions demandé à Guérard des Lauriers de venir en "civil" pour ne pas faire de vagues. Il s´est présenté furtivement dans son habit religieux. La veille de la consécration, nous avons discuté, c´est-à-dire Monsieur Hiller - je n´avais jamais appris le français, mais j´en comprenais quand même quelques bribes - des différents systèmes philosophiques que nous représentions : Lui, le thomiste connu, nous, les représentants de la philosophie transcendantale. J´avais emprunté un pontifical à l´institut liturgique de l´université de Munich pour le week-end, afin de le donner à Lauriers pour qu´il puisse se préparer au rite. Le lendemain matin - c´était le 7 mai 1981 - la consécration a eu lieu dans l´appartement de Thuc, rue Garibaldi à Toulon. Avant la cérémonie, l´archevêque Thuc et des Lauriers se sont entretenus sur les détails. Nous avons pu constater que le candidat s´était très bien familiarisé avec le rite grâce au passage où le consécrateur demande au candidat "Habemus mandatum ?", c´est-à-dire "avez-vous un mandat", ce à quoi des Lauriers répond par la négative. Il faut savoir qu´une consécration épiscopale ne peut être légitimement administrée qu´avec l´accord et sur mandat du pape. Dans le cas contraire, le consécrateur et le consacré se retrouvent en situation de schisme. Nous étions parfaitement au courant de la situation. Un tel mandat n´existait pas parce qu´il n´y avait pas de pape qui aurait pu le donner. (Je remarque ici que le problème de l´absence de mandat devait nous occuper encore plus longtemps). Hiller et moi, en tant qu´assistants, et moi en plus en tant que photographe, n´étions pas vraiment inactifs lors de la cérémonie.
La cérémonie à peine terminée et Mgr Thuc nous accompagnant au repas, des Lauriers a lancé ses accusations selon lesquelles nous étions tous des schismatiques parce que le mandatum avait manqué. Et c´est là que nous avons compris qu´il n´avait pas abandonné sa thèse grossière du "papa materialiter non formaliter", quand il a affirmé à son consécrateur de façon insultante qu´il était un schismatique... ainsi que Hiller et moi aussi, bien sûr. Par la suite, il devint un facteur de perturbation et allait être à l´origine de querelles considérables : tous les fruits qui ont découlé du mensonge de Lauth. Par la suite, nous avons exclu Lauth de nos efforts pour assurer la succession apostolique. Le problème de Hiller et le mien était que Lauth, qui à la fin de sa vie considérait le Coran comme une véritable révélation, était notre chef sur le plan professionnel, ce qui a engendré une relation trop mauvaise. Elle est devenue pour M. Hiller et moi une charge incroyable, y compris sur le plan personnel.
Aux difficultés engendrées par l´étrange thèse de Des Lauriers sur le "Papa materialiter non formaliter" s´ajoutait son refus de ne consacrer à son tour qu´en cas d´extrême nécessité. Tout notre travail préparatoire aurait-il été vain, aurions-nous perdu notre position de confiance auprès de l´archevêque Thuc ? Dieu merci, non. Si Des Lauriers ne voulait pas servir l´Église, qui d´autre, dans le cercle de la résistance ecclésiale, pouvait accepter la charge de l´épiscopat ? J´ai alors commencé à discuter du problème de l´ordination épiscopale avec la célèbre poétesse mexicaine Gloria Riestra, qui avait des origines allemandes. Elle avait été secrétaire d´un évêque. Mais elle a rapidement quitté ce poste lorsque le Concile s´est montré sous son vrai jour. Grâce aux ouvrages théologiques du père Joaquín Sáenz y Arriaga sur le modernisme "L´Eglise montinienne", la résistance religieuse aux enseignements de Vatican II s´était rapidement formée au Mexique. Jusqu´à sa mort le 28 avril 1976, il fut le leader des conservateurs. Ensuite, le père Carmona a pris la direction de la résistance et a rassemblé les prêtres et les fidèles dans l´Union "Trento". L´organe de ce groupe, TRENTO, était rédigé par une collaboratrice que nous connaissons bien, Mme Gloria Riestra, et a réalisé, entre autres publications, un travail important de pénétration théologique et de présentation des erreurs de Vatican II et de ses réformes. Mme Riestra a proposé le P. Carmona comme candidat. De son point de vue, il n´y avait pas beaucoup à réfléchir : si quelqu´un parmi les prêtres du Mexique était le plus à même de tenir ce rôle, c´était le Padre Carmona. M. Hiller et moi-même sommes alors entrés en contact avec lui et avons discuté de la question d´une consécration épiscopale. C´est ainsi que cinq mois après l´ordination de des Lauriers, Carmona s´est rendu à Munich. Carmona avait amené avec lui son ami Zamora, qui s´occupait d´un très grand groupe de croyants au Mexique (20 000 ? - je ne me souviens plus exactement) - comme Carmona lui-même. Toutes les questions ont été longuement discutées, y compris celle du système philosophique que nous représentions ici à Munich. Le résultat de ces échanges a été un accord étonnant sur l´analyse de la situation de l´Église et sur les mesures à prendre pour faire face au danger d´une éventuelle extinction de la succession apostolique. Ils ont également approuvé notre prise de distance par rapport à Ecône. Lors de ces entretiens, nous avons eu la chance d´avoir comme interprète M. Edmund Moser, qui avait déjà rencontré personnellement le P. Carmona auparavant. Une fois qu´un accord a été trouvé pour les deux ordinations épiscopales, que l´archevêque Ngô-dinh-Thuc a été informé de tout et qu´il a donné son accord pour la visite des prêtres mexicains, nous nous sommes envolés à quatre pour Toulon à la mi-octobre, les deux ecclésiastiques en "civil", car la visite devait rester aussi secrète que possible. Les entretiens entre l´archevêque Thuc et les Mexicains se sont déroulés en partie en latin, et il s´est avéré que Thuc était le meilleur latiniste. J´ai eu l´idée que les deux clercs soient ordonnés évêques, simplement pour avoir plus de sécurité s´il devait arriver quelque chose à l´un d´entre eux. Ma proposition a été acceptée et c´est ainsi que Carmona et Zamora ont été ordonnés évêques de l´Église catholique le 17 octobre 1981 à Toulon. Tous deux avaient déjà discuté du problème au Mexique et de l´obstacle à franchir lors de la consécration : l´absence de mandatum. Cette fois-ci, il n´y a pas eu d´interférences avec des thèses étranges. Et le repas dans le restaurant que nous connaissions bien entre-temps, où l´archevêque était reçu avec déférence comme un grand-père, fut un vrai festin... Mais nous avons dû renvoyer un invité gênant, dont Monsieur Norrant nous a dit par la suite qu´il avait été un espion du diocèse. Les cérémonies émouvantes au cours desquelles les Padre Carmona et Zamora ont été consacrés évêques de l´Eglise catholique ont exigé une concentration et une attention maximales de la part de tous les participants. Elles ont fait oublier les conditions extérieures pauvres dans lesquelles elles se sont déroulées - Mgr Ngô-dinh-Thuc a conféré les consécrations dans son appartement. Je n´oublierai jamais ces cérémonies de consécration, ni la joie qui s´est emparée de tous lorsque Mgr Ngô-dinh-Thuc a entonné à haute voix le "ad multos annos" ("à de nombreuses années") à la fin de la consécration. La joie a été suivie d´un soulagement, après que nous ayons tous été "sous haute tension" pendant plusieurs jours. Avec les deux évêques fraîchement consacrés - à nouveau en "civil" - nous nous sommes ensuite promenés pendant des heures dans Toulon, assis sur le port, en observant les bateaux, en regardant les marchands volants venus d´Afrique essayer de vendre leurs sculptures et leurs tissus, et en discutant en espagnol, en italien et en latin. Je devrais peut-être raconter un autre épisode qui s´est déroulé pendant la consécration. Au moment de remettre la crosse aux candidats, Zamora a demandé "Baculum" (crosse) en écartant le bras, ce à quoi nous avons répondu doucement "non habemus" (nous n´avons pas), "Baculum", et Zamora a de nouveau demandé sa crosse. La troisième fois, nous avons dû répondre "non habemus" de manière audible. Il a alors compris. Après les adieux de Mgr Ngô-dinh-Thuc - comme toujours, ils avaient un caractère presque militaire : une bénédiction de voyage et un "au revoir" - nous nous sommes envolés ensemble avec les deux évêques jusqu´à Paris, où nous nous sommes séparés : les deux Mexicains avaient réservé leur vol de retour via l´Espagne.
On a commencé à comprendre pourquoi les consécrations devaient rester secrètes que lorsque Mgr Thuc a été poursuivi par la trahison du Père Barbara... Ce fut une chasse à l´homme répugnante, à laquelle Mgr Lefebvre participa de la manière la plus primitive possible, en qualifiant l´archevêque Ngo-dinh-Thuc de fou... n. b. Des calomnies de même nature sont à nouveau répandues aujourd´hui par des membres de la secte d´Ecône : parce que l´évêque Thuc aurait déjà sombré dans la sénilité, l´administration des ordinations seraient invalides... probablement aussi les quelques 200 messes au cours desquelles Monsieur Hiller et moi-même avons pu officier. Mais pour moi, les consécrations épiscopales auxquelles j´ai pu assister en tant qu´assistant et les circonstances dans lesquelles elles ont dû avoir lieu resteront inoubliables !
Ce ne devait pas être le dernier voyage à Toulon en cette année 1981 riche en événements. A la fin de l´automne, l´abbé Schaeffer s´était adressé à nous depuis le sud de la France pour savoir si nous ne pouvions pas l´aider à être ordonné prêtre. Schaeffer faisait partie des anciens séminaristes d´Ecône qui avaient dû quitter le séminaire d´Ecône en raison de leur attitude hostile à Jean-Paul II, qu´ils rejetaient en tant que pape. Nous lui avons demandé de venir à Munich pour parler de sa situation. Il est venu et a été très étonné que l´évêque qui allait l´ordonner vivait à proximité de sa ville natale. Après l´avoir obligé à garder le silence sur son ordination, les préparatifs ont pu commencer. Schaeffer avait du mal à accepter l´idée de garder le secret - pour l´instant ! – mais il s´est engagé à le faire. Si Schaeffer ne nous avait pas fait cette promesse, il n´y aurait pas eu de voyage à Toulon. De plus, nous lui avons demandé de s´engager à s´occuper ensuite de Mgr Thuc. Mais il a vite oublié cette promesse. Son programme pour les jeunes, avec son fifre et son sac à dos, était devenu plus important pour lui. L´ordination de Schaeffer a eu lieu le 19 décembre 1981. Pour l´archevêque Ngo-dinh-Thuc, ce fut tout un travail, car il a conféré les ordres mineurs et majeurs en un seul jour, et ce, bien qu´il ait fallu lui trouver des lunettes adaptées. Lorsque nous sommes rentrés à la maison, à Munich, ma famille m´attendait déjà, car ma femme avait acheté des billets pour un magnifique concert de Noël avec le célèbre Gustl Bayrhammer, qui a récité l´histoire de Noël de Ludwig Thomas. Je suis rentré à la maison tellement fatigué par le voyage que je me suis assoupi pendant le concert.
Mais nos trajets vers Toulon ne se sont pas arrêtés là. L´archevêque était en danger. Notre "compagnon de lutte" Barbara avait encore écrit dans son FORTS DANS LA FOI, n° 17, année 1982 : "Vous comprendrez sans peine que je ne peux pas les nommer (les évêques !). Je ne tais pas seulement leur nom, mais aussi le pays où ils habitent. Si je les révélais, vous pouvez imaginer à quel point on les dissuaderait d´agir". Néanmoins, Barbara informa la presse des consécrations qui avaient eu lieu. C´est ainsi que le 12 février 1982, toutes les gazettes de France et du Mexique parlaient simultanément des consécrations épiscopales par Thuc, qui avaient été conférées sans mandat pontifical !!! Quel scandale ! L´archevêque Ngo-dinh-Thuc a fait l´objet d´une véritable chasse à l´homme, déclenchée par la trahison de Barbara. Ce fut une chasse répugnante, à laquelle Mgr Lefebvre participa de manière primitive en déclarant l´archevêque Ngo-dinh-Thuc fou... (n.b. Des calomnies de même nature sont à nouveau répandues aujourd´hui par des membres de la secte Ecône : parce que Mgr Thuc aurait déjà sombré dans la sénilité, l´administration des ordres sacrés ne seraient pas valides...). Mgr Thuc était alors un vieil homme de 85 ans. Il faut néanmoins noter qu´après la révélation des consécrations en février 1982, il s´est opposé par tous les moyens à être emmené à Rome après que le Père Barbara ait trahi le secret des consécrations épiscopales.
Lorsque nous avons appris par M. Norrant la traque de Mgr Thuc, nous avons immédiatement décidé de le faire venir à Munich, où il devait être hébergé dans notre appartement. J´ai pris le premier avion pour Nice, d´où il est reparti directement pour Munich. Monsieur Norrant avait emmené l´archevêque en voiture à Nice... et à l´aéroport, la recherche du billet d´avion de Thuc a commencé. Il était introuvable dans le dossier. Fallait-il reprendre l´avion pour Munich sans l´archevêque ? Au dernier moment, l´archevêque a sorti le billet d´une des grandes poches de son manteau : l´aventure pouvait commencer. Alors qu´à Nice, les températures étaient printanières, il en était tout autrement à Munich. Le haut-parleur annonçait -10 degrés pour Munich. Mais Thuc n´avait pas seulement un grand manteau, mais aussi un manteau très chaud. Notre fille Klara a dû quitter sa chambre, où l´archevêque devait désormais habiter. Il aimait les meubles en pin de sa chambre et pensait déjà à aménager son séminaire avec de tels meubles... ce qui ne devait malheureusement pas se produire. Nous avons dû changer beaucoup de choses. Sans la collaboration active et désintéressée de ma femme, nous n´y serions pas parvenus. Elle a essayé de rendre le séjour de l´archevêque aussi agréable que possible dans un monde hivernal auquel il n´était pas habitué. Chaque matin, il disait la messe dans mon bureau, qui faisait également office de salon. Thuc s´est révélé être un vieux monsieur adorable, qui aimait beaucoup avoir nos deux enfants Klara et Bernard - alors âgés de sept et cinq ans - à ses côtés, et ils s´entendaient très bien avec eux... sans connaître la langue. Le soir, Monsieur Hiller venait aussi souvent pour parler avec l´archevêque. Lors de ses visites, il n´oubliait pas de raconter aux enfants des histoires du soir. Il était étonnant de voir que l´archevêque Thuc avait commencé à apprendre l´allemand à un âge avancé. Il a écrit X fois des termes sur une feuille de papier, mais lorsqu´il s´est rendu compte que ces exercices n´étaient pas concluants, il les a arrêtés. L´italien nous a permis de nous en sortir tant bien que mal. Thuc a lui-même eu recours à des solutions inhabituelles pour résoudre ses problèmes. Lorsqu´il s´est rendu compte que son anneau épiscopal tournait au doigt, il a pris un marteau et a frappé la bague jusqu´à ce qu´elle s´adapte. Lorsque le nettoyage de son pantalon, que ma femme avait l´intention d´apporter à la blanchisserie, lui prenait trop de temps, il le prenait sans hésiter et le mettait dans la baignoire remplie d´eau. Effectivement, c´est ainsi que cela s´est passé. Je voudrais encore raconter deux épisodes qui peuvent caractériser un peu l´archevêque Thuc. Une fois, j´ai dû l´emmener chez le dentiste pour lui enlever une dent. Thuc a alors conseillé au dentiste de conserver sa dent, car lorsqu´il serait canonisé, il aurait une relique. On peut imaginer la mine déconfite du médecin. Lors d´une visite dans la magnifique église de Dietramszell en Haute-Bavière, le curé avec lequel il s´était entretenu est venu me voir après l´entretien pour me raconter que l´archevêque Thuc lui avait répondu "au revoir au ciel" à son "au revoir". Oui, et puis il y avait aussi le petit ami des enfants du quartier qui racontait que le pape habitait chez Heller et que ma petite fille devait conduire ce païen à l´église, selon l´archevêque. Par la suite, ma femme est partie avec les enfants chez ses parents pendant quatre semaines à Borken, afin que nous puissions - M. Hiller et moi - nous consacrer sans être dérangés à notre travail ecclésiastique ainsi qu´à notre travail professionnel intensif et coûteux... Et bien sûr, il fallait aussi s´occuper de Mgr Thuc. Pour les semaines à venir, nous devions tous les deux - l´archevêque et moi - nous débrouiller seuls. Cela s´est très bien passé. Le soir, nous écoutions parfois de la musique. Il connaissait toutes les messes grégoriennes mises à disposition et les fredonnait doucement. Il m´a dit un jour que j´étais un bon cuisinier. J´ai alors compris qu´il était satisfait de ma cuisine simple. Je m´efforçais en effet de toujours préparer quelque chose de doux et aigre. Le soir, Thuc disait la messe pour un petit cercle de fidèles qui soutenaient généreusement notre travail. En plus de ces petites aventures quotidiennes, nous devions aussi penser à poursuivre notre programme ecclésial. Il ne s´agissait pas seulement d´une fuite pour sauver Thuc des persécutions, mais aussi d´un travail théologique sur la justification des ordinations sans mandat. L´action de l´archevêque nécessitait une justification qui devait expliquer pourquoi il n´avait pas demandé le mandat pontifical pour les ordinations à Mgr Wojtyla. Si j´écris maintenant qu´il n´a pas pu obtenir le mandat auprès de Mgr Wojtyla parce qu´il ne reconnaissait pas cette personne, Mgr Wojtyla, comme pape, cela semble assez compréhensible. Mais dans la situation de l´époque - 1982 - l´opinion publique catholique de l´époque discutait certes de la "vieille" messe et de son acceptation, mais pas de la vacance du siège romain. Cela ne se discutait que dans un cercle restreint de fidèles du monde entier, convaincus que les papes, à partir de Paul VI, avaient été déchus de leur charge pour avoir défendu publiquement des hérésies. Mais le monde médiatique était en ébullition et n´était pas très tendre avec Thuc. C´est pourquoi il s´est caché à Munich ! Il ne voulait absolument rien avoir à faire avec Rome et Mgr Wojtyla, dont il avait qualifié l´encyclique "Laborem exercens" de manifeste communiste (sur lequel il avait encore l´intention de rédiger un article, mais que la maladie l´avait empêché de terminer). Il savait aussi que le Vatican, c´est-à-dire Paul VI, décédé le 6 août 1978, avait approuvé l´assassinat de ses frères - sur ordre des Kennedy ! – et avait donné son accord. Dans cette situation, il était nécessaire que l´archevêque Ngô-dinh-Thuc justifie publiquement ses actes, ce qui fut fait dans la DECLARATIO du 25 février 1982, dans laquelle il constatait la vacance du siège romain. C´était un travail que Thuc suivait avec un grand intérêt. La "déclaration" sur la vacance du Siège romain a fait l´objet de plusieurs rédactions avant d´atteindre sa version finale, que Thuc a signée et dans laquelle elle a ensuite été imprimée. Le 21 mars 1982, dimanche de Laetare, elle a été lue dans notre église Saint-Michel par l´archevêque Thuc, avec la bénédiction du Père Leutenegger de Suisse, qui a également prononcé l´homélie, et du Père Pniok, qui a interprété la Messe pour orgue en si bémol majeur de Haydn. Oui, c´était une organisation digne que nous avions mise en place pour cette occasion. Entre-temps, ma femme était revenue avec les enfants, de sorte qu´ils ont pu participer au repas de fête qui a suivi. A cette occasion, les trois clercs ont constaté qu´ils avaient plus de 250 ans à eux trois. (De mauvaises langues ont ensuite colporté l´affirmation selon laquelle j´aurais écrit le Declaratio. Si quelqu´un s´y connaît en analyse stylistique, il constatera immédiatement qu´il s´agit d´une insinuation malveillante). Entre-temps, nous avions trouvé pour l´archevêque Thuc un logement agréable dans le quartier, d´où il a pu rejoindre son environnement habituel. Plus tard, l´évêque Guérard des Lauriers, entre autres, s´est rendu à Munich pour coordonner d´autres mesures. Il reprocha à Thuc de ne pas se rallier à sa thèse. Il déchira les lettres que des Lauriers lui avait envoyées et les jeta dans le jardin. J´ai ensuite été autorisé à ramasser les morceaux et à reconstituer le puzzle. Le débat que nous avait directement imposé Mgr Des Lauriers avec sa thèse du "Papa materialiter non formaliter" - un débat que ses partisans poursuivent encore aujourd´hui - a été une lourde charge pour la résistance qui se mettait en place. Elle a freiné aussi bien la consolidation interne, ce qui a provoqué une grande perte de confiance chez les fidèles, que le développement organisationnel - comme cela a été le cas par exemple à Ecône. Mgr Carmona est également revenu à Munich, accompagné de M. Anacleto Gonzalez Flores, pour discuter de certains points avec Thuc : par exemple, comment traiter les gens de Lefebvre, qui ont encore à résoudre le problème des ordinations par Lienart. Thuc avait proposé à Lefebvre une consécration sub conditione, mais celui-ci avait refusé. Il fut décidé qu´aucun écônien ne pourrait être admis dans notre cercle sans cette consécration sub conditione. A cette occasion, Mgr Carmona - ainsi que Mgr Guérard des Lauriers - reçurent un revers manuscrit dans lequel Mgr Thuc s´excusait pour les accusations portées à juste titre contre lui et demandait pardon aux évêques en tant que représentants de l´Eglise. Carmona et des Lauriers étaient tous deux d´accord avec la déclaration qui leur avait été faite et la reconnaissaient comme des documents de réconciliation. Entre-temps, notre appartement est devenu le lieu de rencontre des anciens et des nouveaux évêques, où l´un poussait la porte de l´autre. C´est ainsi que sont arrivés l´évêque Vezelis, l´évêque Musey, qui nous a présenté ses blagues sur les juifs. La querelle entre les nouveaux évêques au sujet de la thèse de Mgr Des Lauriers et de son "Papa materialiter non formaliter" a eu pour conséquence qu´aucune autorité n´a pu émerger et obtenir l´approbation générale. L´évêque Carmona, qui avait réussi à gagner la confiance des fidèles après la mort de son consécrateur Thuc, a constitué une exception. Sa mort tragique en 1991 marque en même temps le point de rupture à partir duquel l´intérêt pour la reconstitution de l´Église a commencé à s´éteindre.
Comment caractériser l´archevêque Thuc, avec lequel j´avais vécu quelques mois ? Il était laconique ; il ne pouvait pas supporter de longs bavardages théologiques ou pieux. Il savait commander ; il était extraordinairement exact et précis dans toutes les affaires qu´il avait à régler. Notre voisine, une dame plutôt mondaine qui ne savait pas qui était son voisin temporaire, qui ne se doutait pas non plus de qui portait ces vêtements avec ce vieux chapeau, n´avait qu´une remarque : quelle dignité. Oui, quelle dignité, quelle bonté, quel respect émanait personnellement de Mgr Ngô-dinh-Thuc, mes enfants l´ont connu. Pendant la période où il a dû se cacher chez nous et où mes enfants ont dû se restreindre énormément, ils ne se sont pas plaints une seule fois, eux qui laissaient habituellement libre cours à leurs émotions et à leurs plaintes.
Lorsqu´il habitait encore à Toulon, il n´apportait pas ses lettres à la boîte aux lettres la plus proche (qui pouvait être contrôlée), mais au chemin de fer, où il les déposait dans les trains, où elles n´étaient pas contrôlées, même s´il avait du mal à marcher. Il nous contrôlait, Hiller et moi, en écrivant des lettres en italien à M. Hiller et en français à moi, sachant que Hiller ne comprenait pas l´italien et que je ne comprenais pas le français. Il savait donc que nous devions échanger des informations.
Et c´était un homme pieux, qui comptait sur la justice de Dieu. La haine et la vengeance lui étaient étrangères. Et quel sort lui a été réservé, à lui et à sa famille ! Huit membres de la famille Ngo avaient déjà été assassinés ! Je ne comprends pas la haine et l´arrogance avec lesquelles il a été persécuté, en particulier par des ecclésiastiques français dits conservateurs ! Pour moi, il n´y a qu´une seule explication : ils ne pouvaient pas supporter que ce prélat du Vietnam, pour eux de la colonie, leur démontre leur propre laxisme : il était bien supérieur à eux tous dans tous les domaines, et on ne pouvait pas pardonner cela à ce "riziculteur". En avril 1982, l´archevêque Thuc est tombé malade d´une bronchite grave. Il a été soigné par le Dr Hiller et son épouse, qui était médecin. J´ai pris soin de Mgr Thuc du mieux que j´ai pu. Mais pour rétablir sa santé, nous nous sommes vus contraints, début mai 1982, de le faire s´envoler à nouveau du froid de Munich au chaud du sud de la France. Monsieur Hiller et moi-même l´avons accompagné dans ce voyage. Nous avions auparavant demandé à l´abbé Schaeffer, qui avait été ordonné par Thuc, de s´occuper de lui... en vain. Thuc a été alors emmené dans son appartement par Mme Norrant, qui l´a pris en charge. Il s´est ensuite rétabli peu à peu. La veille de notre vol de retour vers Munich, nous sommes allés nous promener dans une forêt voisine. Soudain, nous avons entendu le chant d´oiseaux que nous avons reconnu comme étant celui de rossignols, bien qu´il nous soit inconnu jusqu´alors. Ils chantaient merveilleusement bien. Ce devait être la dernière fois que je rencontrais l´archevêque Thuc en personne. Par l´intermédiaire de Mme Norrant, nous pouvions cependant nous renseigner à tout moment sur son état de santé.
A l´automne 1983, l´évêque Vezelis l´a fait venir à Rochester, aux Etats-Unis, où il tenait un séminaire. Mais après que les étudiants mexicains eurent tous quitté cette maison et que certains reproches eurent été formulés à l´encontre de Vezelis, l´archevêque Thuc fut lui aussi contraint à l´exil et placé en 1984 dans un séminaire de Vietnamiens en exil. Les photos qui me sont parvenues de là montrent un vieil homme bien nourri. Il est décédé le 13 décembre 1984, peu après avoir atteint l´âge de 87 ans, dans un hôpital de Carthage, aux Etats-Unis, après avoir vécu à New York (à l´hôtel Carter) après son départ de Rochester. Deux jours avant la veille de Noël, le 22.12.84, sa dépouille a été enterrée. Beaucoup de choses restent inexpliquées ; celui qui aurait pu réellement nous informer est mort. Son nouveau lieu de séjour à Carthage ne nous a été communiqué que début décembre 1984 par un ancien séminariste de Rochester. J´ai aussitôt rédigé une lettre à l´archevêque... C´est à ce moment-là que j´ai appris son décès. Mes lignes ne lui sont pas parvenues. "Doce me, Domine, vias tuas". ("Montre-moi, Seigneur, tes voies.") C´était la devise que Mgr Thuc avait placée en tête de sa courte biographie. Avec sa mort, c´est une vie qui s´achève, une vie qui avait d´abord commencé avec tant de succès personnel et qui, après la catastrophe de sa famille en 1963, après la chute du Vietnam en 1975, avait finalement abouti à l´humiliation totale et à l´isolement. Cette voie qui lui était tracée, déjà suffisamment amère en soi, est finalement devenue pour lui un calvaire à cause de la prétention et de l´arrogance des modernistes comme des conservateurs. Il a lui-même écrit un jour : "Après cela, mon chemin de croix a commencé". Et celui-ci l´a également conduit à Baton Rouge /USA, où il a une nouvelle fois demandé aux évêques qu´il avait ordonnés de poursuivre son œuvre.
Je me suis souvent demandé pourquoi Mgr Pierre Martin Ngô-dinh-Thuc avait quitté Rochester, et j´en suis arrivé à la conclusion que c´était peut-être le comportement de l´évêque Vezelis, dont j´ai appris plus tard qu´il était homosexuel. Et je me souviens d´une expérience antérieure amère que Thuc avait faite, à savoir que l´évêque Laborie avait les mêmes penchants, raison pour laquelle l´archevêque s´était séparé de lui.
Prions pour que Dieu ramène son serviteur dans la maison de son Père, où il pourra enfin trouver le repos et la paix. R.I.P. |