Etant, depuis plus de 40 ans, en relation avec un bon nombre de représentants du St-Siège comme Délégués Apostoliques, parmi lesquels quelques-uns choisis parmi les missionnaires et d’autres, diplomates de profession, ayant appris le métier à l’Académie pontificale ecclésiastique, jadis Académie Pontificale des Nobles Ecclésiastiques, fondée en 1701, je crois pouvoir faire cette observation : Quel est le rôle de ces représentants du St-Siège ?
Informer Rome de l’état religieux dans le territoire de la Délégation. Pour remplir ce rôle, les missionnaires de profession me semblent plus expérimentés que de jeunes diplomates qui n’ont été en relation qu’avec les diocèses, déjà organisés, d’Europe.
La nationalité de ces Délégués, sortis de l’Académie pontificale, était surtout italienne, il y a moins de dix ans : Italiens originaires du Sud pour la plupart, là où la pauvreté est la condition normale du clergé. Pour y échapper, il n’y a qu’une porte : celle de la carrière diplomatique où l’on est très vite bombardé préfet et ensuite archevêque ; on a le privilège de voir le monde, car les diplomates changent de poste au moins tous les dix ans. Ils prennent leur retraite comme Cardinaux et deviennent, souvent, Souverains Pontifes. Donc, la diplomatie mène à tout. Mais est-ce de cette façon que Jésus a formé ses Apôtres ? Je ne sais que répondre. Ma petite expérience personnelle me dit qu’on pourrait faire mieux pour le bien de l’Eglise. Je suis arrivé, maintenant, à un tournant de ma vie ecclésiastique. Après 22 ans d’épiscopat, je suis transféré à l’Archevêché de Hué, comme métropolitain, lors de la transformation de la hiérarchie du Vietnam, naguère Vicariats apostoliques, en évêchés et archevêchés quoique toujours dépendants de la S. Congrégation « de Propaganda Fide » , actuellement appelée aussi : S. Congrégation pour « l’Evangélisation des Peuples ».
Pourquoi à Hué, ma cité natale ? Or, d’ordinaire, l’Eglise évite de nommer un évêque au gouvernement d’un diocèse dont sa famille est originaire. La raison est évidente. Au Vietnam, les anciens empereurs évitaient aussi de nommer gouverneurs d’une province ceux qui en étaient originaires car on aurait pu les soupçonner de favoriser leur famille. Or, à Hué, vivaient encore ma mère, mes soeurs et mes frères. Mon ancien professeur, le Cardinal Agagianian , Préfet de la S.C. le la Propagande m’a révélé la raison de cette exception. « Mon fils, m’a-t-il dit, tu aurais dû être l’archevêque de Saigon, mais à Saigon règne ton frère, le Président Diêm. En devenant archevêque de Saigon, les pouvoirs politiques et religieux auraient été tenus par les membres d’une même famille. Voilà pourquoi on t’a nommé à Hué puisque Hanoi est aux mains des communistes. »
Ma destinée semble être celle de relever les ruines, outres celle de créer de toutes pièces, soit un évêché : celui de Vinhlong, soit une université : celle de Dalat. Travail très dur, surtout lorsqu’on doit partir de zéro, mais il y a un avantage : on est libre de faire ce qu’on veut. Tandis que relever les ruines, implique le soin de conserver ce qui pourrait encore servir. Or, à Hué, vieil évêché, si je devais construire un Petit Séminaire tout neuf, l’ancien séminaire d’Anninh étant dans le zone communiste, le Grand Séminaire de Phu-xuân, vénérable immeuble datant quasi de 100 ans et contenant, jadis, tout au plus une trentaine de clercs, devait être agrandi pour recevoir à la chapelle, dans les salles de cours, au dortoir, plus d’une centaine de grands séminaristes appartenant à Hué et aux évêchés dépendant de l’archevêché métropole. Heureusement, le terrain ne manquait pas.
Le diocèse de Hué, connu par le renom de son clergé, docte et pieux, était le plus pauvre du Vietnam. La raison ? la persécution, qui a duré plus de 200 ans, avait fait main basse sur toutes les propriétés du diocèse et des paroisses du Vietnam. Quand la paix religieuse fut établie par la conquête française, le gouvernement vietnamien dut octroyer aux Missions catholiques des indemnités pour la destruction des églises et autres établissements catholiques. Les Missions employèrent cet argent soit à l’achat de rizières, soit à la construction d’églises. A cette époque-là, Hué avait un évêque venu de la Cochinchine Mgr Caspar, un Alsacien des M.E.P. Or, en Cochinchine, la Mission subsistait grâce aux rizières. Ce prélat voulut donc appliquer la même politique qu’à Saigon et fit l’acquisition de rizières avec les indemnités affectées au diocèse de Hué. Or, la situation des rizières à Hué était tout à fait différente de celle de la Cochinchine où il y avait de bonnes rizières et à meilleur marché. Tandis qu’à Hué, il y a peu de rizières et surtout peu de bonnes rizières. Les agents, employés par l’Evêque pour l’achat des rizières, n’étaient pas tous honnêtes. Le résultat fut tragique : on acquit à prix d’argent hectares de sable ou des rizières sensées achetées alors que leurs vrais propriétaires ne les avaient pas vendues, d’où querelles terribles quand les gens de l’Evêché allaient labourer ces champs... Le désastre était irréparable. Je me trouvais devant une situation impossible. Heureusement, mon frère, le Président Diêm, m’aidait généreusement et discrètement. Grâce à ses aumônes – dont Dieu seul connaissait le nombre – j’ai pu construire un Petit Séminaire moderne à deux pas de l’évêché et agrandir mon Grand Séminaire, réparer la cathédrale tombée en ruine, moderniser l’évêché pour y recevoir les prêtres de passage, bâtir une maison pour les prêtres âgés.
Un problème occupait mes réflexions : comment sortir le diocèse de Hué de sa pauvreté ? Comment, ainsi que j’avais réussi à le faire à Vinhlong, doter chaque paroisse de quoi subvenir à ses besoins normaux ? Or, justement à cette époque, le gouvernement de mon frère Diêm émit une loi agraire instituant des prêts pour le reboisement des terrains incultes appartenant à des communautés ou à des villages.
Or, dans les provinces de Thûa-Thiâs (Hué) et de Quangtri qui constituent mon archidiocèse, se trouvent des terrains sablonneux qui se vendent pour un prix minime. J’ai donc introduit une requête demandant à l’Etat un prêt de plusieurs millions de piastres pour reboiser ces terrains. Après dix ans, nous rembourserions l’Etat de l’argent prêté avec intérêts. Je réunis mes prêtres et leur exposai le projet : Si une paroisse ayant des terrains incultes à proximité, désire un prêt pour cultiver ces terrains, le curé, avec l’assentiment de sa paroisse, m’enverrait une requête dans laquelle seraient indiqués la superficie de ces terrains, le montant du prêt nécessaire, la nature des arbres à planter. Après examen par le Conseil de l’évêché et mûre délibération, le prêt serait remis au Curé et il commencerait le reboisement. Et tous les ans, à l’époque de la retraite annuelle, il référera au Conseil épiscopal de son travail. L’inspection des lieux et des résultats serait faite par les doyens du district de l’intéressé.
La plupart des curés présentèrent des requêtes selon ce schéma. Sur ces terrains sablonneux, un seul arbre réussissait à vivre et à prospérer, une espèce de résineux nommé « filao » par les Français. Il fournit un bois de construction passable, mais c’est un très bon bois pour le chauffage. Il croît très vite et a beaucoup de branches feuillues qui conviennent pour la cuisson du riz et des aliments. Et plus on coupe les branches, plus vite jaillissent d’autres branches... Donc, avec la vente de ce bois de chauffage, dans dix ans, normalement la paroisse aurait payé le prêt avec les intérêts.
Remarquez que le prêt n’était pas imposé, le curé restait libre de le demander ou non. Dans ce cas, si un nouveau curé désirait cultiver un terrain négligé par son prédécesseur, il pouvait introduire une requête auprès du Conseil épiscopal pour obtenir un prêt de reboisement. Cependant, pour plus de sécurité, j’ai imposé au doyenné une responsabilité collective pour la plantation, pour le paiement du prêt, pour l’exploitation de la plantation.
Comme il restait un gros reliquat sur le prêt octroyé par l’Etat, avec ce reliquat j’ai acheté un terrain marécageux, donc peu cher, en face de mon évêché et fait construire un grand bâtiment avec chambres à louer pour les fonctionnaires de l’Etat en service à Hué... et une grande plantation de cocotiers et de filaos à Longcô, pour les besoins de l’évêché.
Grâce à Dieu, ce projet semblait très prometteur. Tout le monde se mit à l’oeuvre et pendant les quelques années passées à Hué, la plupart des paroisses ont réussi à mettre de côté l’argent provenant de la vente des branches de filaos coupées chaque année tandis que le bâtiment édifié sur le marécage, en face de ma maison épiscopale, et loué entièrement, assurait des revenus stables et assez intéressants à l’évêché. Hélas, le sort de Hué est de rester pauvre car les Vietcongs (communistes) s’infiltraient partout dans mon diocèse distant d’une cinquantaine de kilomètres de la frontière communiste et les guérilleros communistes harcelaient nos deux provinces, interdisant à nos prêtres de rembourser le prêt au gouvernement de Saigon. Cette situation fit naître une accusation inimaginable de l’Evêque Diên, que le Saint-Siège avait nommé mon remplaçant au siège de Hué quand j’étais confiné en Europe. Il m’a accusé, alors, d’avoir mis dans ma poche les millions prêtés par Saigon pour le reboisement. La S.C. de la Propagande m’écrivit une lettre relatant cette accusation infâme au moment où je rentrais à Rome après avoir enseveli ma nièce, fille aînée de mon frère Nhu, écrasée près de Paris par deux camions conduits par des chauffeurs américains. J’ai aussitôt répondu à la S.Congrégation qu’elle fasse savoir à mon accusateur, primo : Que l’évêque Diên, qui habite dans l’évêché construit avec mon argent propre, demande au Père Procureur de la Mission, qui habite l’évêché, de lui remettre les documents concernant les prêts accordés aux paroisses pour le reboisement. Secundo : Que l’évêque Diên aille voir la grande plantation de cocotiers, de filaos du côté de Longcô. Tertio : L’évêque Diên n’a-t-il pas perçu le loyer du bâtiment construit par moi-même, en face de la maison qu’il habite ? Enfin, que je me réservais le droit de le citer devant le Tribunal de la Rote pour calomnie.
De plus, comme les communications postales entre l’Europe et le Sud-Vietnam existaient encore, j’ai écrit à mes prêtres de Hué, leur reprochant de n’avoir pas informé mon auxiliaire du projet de reboisement. Or, ces prêtres me répondirent qu’ils avaient, durant la retraite annuelle, dit à Mgr Diên la vérité sur le prêt gouvernemental : que l’archevêque Thuc n’avait jamais vu cet argent gardé à la Procure. Mgr Diên m’avait donc accusé de vol, tout en sachant que c’était une calomnie. Effrayé de ma menace de porter cette affaire devant les Tribunaux romains, Mgr Diên m’a, alors, demandé pardon. Voilà la sincérité de cet excellent ami de Paul VI, le pape qui m’a forcé à démissionner avant le terme légal pour que Mgr Diên soit nommé archevêque de Hué et puisse mettre en pratique sa politique de la main tendue aux communistes afin de saper le gouvernement de Saigon. Et Mgr Diên se servit des millions m’appartenant en propre, sans m’en demander la permission...
° ° °
Après avoir modernisé le bâtiment qui servait de procure à la Mission de Hué, en y installant douches et W.C. dans chaque chambre, et construit des chambres pour accueillir les prêtres malades ou retraités afin qu’ils puissent jouir des visites de leurs confrères se rendant chez le Procureur ou l’Evêque. Et un bâtiment pour servir de bureau à l’Action Catholique, avec une chambre pour le prêtre chargé de cette action. Je pensais alors à construire une nouvelle cathédrale car l’ancienne, édifiée plus de 25 ans auparavant par l’ancien curé devenu ensuite Vicaire Apostolique de Hué, tombait en ruines. Le toit et les charpentes, attaquées par les fourmis blanches (termites) risquaient de s’écrouler au premier typhon.
La nouvelle cathédrale, dont le plan était fait par un Vietnamien non catholique, lauréat de l’Ecole française de Rome, était d’un modernisme mitigé. En béton armé, donc résistant aux typhons et aux termites, elle offrirait un lieu décent pour les cérémonies religieuses et assez ample pour plus de 5.000 personnes. J’avais une somme pour acheter les matériaux, tandis que la main-d’oeuvre serait constituée par les paroissiens et paroissiennes de Phû-cam (nom de la paroisse de la cathédrale et ma paroisse natale). Donc, main-d’oeuvre gratuite, sous la direction d’experts rétribués. Je n’ai pu suivre jusqu’à l’achèvement cette construction et c’est mon successeur Mgr Diên qui a eu l’honneur de consacrer la nouvelle cathédrale, dans une concélébration avec la plupart des prêtres de l’archidiocèse. A mon départ, l’intérieur de la cathédrale était fait, il ne restait plus qu’à édifier la façade.
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai dû amplifier le Grand Séminaire de Hué qui devint Séminaire régionale pour Hué et les diocèses suffragants de cette métropole, allonger la chapelle pour contenir plus de 100 grands séminaristes – l’ancienne n’avait qu’une trentaine de places ; le réfectoire, les salles de cours, la maison des professeurs durent être aménagés pour la nouvelle destination. Dieu a voulu que je puisse assister à l’achèvement de ce séminaire régional.
Comme le Petit Séminaire était dans le territoire occupé par les communistes du Nord, j’ai trouvé un emplacement en pleine ville de Hué et j’ai pu construire un Petit Séminaire pour 300 élèves, en béton armé, avec une belle chapelle, une cuisine avec logement pour les soeurs cuisinières, un camp de football. Tout ceci, Grand et Petit Séminaires avec l’argent de mon frère le Président.
° ° °
Je raconte tout ceci en détail, afin que ceux qui viendront après moi se souviennent du grand bienfaiteur de l’archidiocèse de Hué. Car c’est grâce à sa générosité que j’ai pu achever pendant mon court séjour à Hué, tout ce programme de modernisation. Mon frère n’a jamais soufflé mot à quiconque de son aide désintéressée, comme il l’a fait pour les constructions de la paroisse vietnamienne à Paris. Sa discrétion, hélas, a été exploitée par le Père Gr’ân qui a proclamé que les bâtiments de cette paroisse avaient été payés de son propre argent. Où l’aurait-il trouvé, lui réfugié à Paris par peur des communistes et sans un sou dans sa poche ? Mon frère ne m’a soufflé mot de cette aide. Je ne l’ai su que grâce à Madame Nhu qui a été témoin de la conversation entre le Président et le P. Gr’ân.
Les prétentions du P. Gr’ân sur la possession de la chapelle et de la cure de cette paroisse vietnamienne à Paris sont sans fondement donc un vol, ainsi que tous les avantages qui lui sont échus, par exemple l’exploitation du restaurant installé au-dessous de la chapelle et fréquenté par de nombreux clients vietnamiens et étrangers. C’est là la source de l’enrichissement de ce prêtre, devenu plusieurs fois millionnaire, qui possède villas et autres restaurants. Hélas, ce prêtre, converti au catholicisme et si pieux naguère, n’a su résister a l’appât de l’or. Devenu trafiquant, il a réussi à faire venir ses frères et soeurs du Vietnam à Paris et toute la famille roule, actuellement, en carrosse... Que le Bon Dieu lui accorde le repentir et le retour à la piété de sa jeunesse...
Durant les quelques années passées comme archevêque de Hué, ma vie était bien remplie. Mis au lit vers 9 heures du soir, je me levais de bonne heure pour méditation et messe, ensuite la correspondance, tout était terminé vers 7 heures. J’allais alors à Phûcam porter la communion à ma mère, paralysée au lit par l’arthrose, puis je me rendais sur les chantiers surveiller la construction.
Vers 9 heures, j’étais à l’évêché pour recevoir prêtres et diocésains désirant me voir. Pour les prêtres, ils se présentaient munis d’un papier où étaient exprimées leurs demandes ou leurs questions. Ainsi, je pouvais leurs répondre succinctement et ensuite leur écrire si la question demandait longue réflexion. Ainsi, les confrères n’avaient pas à s’éterniser à Hué mais pouvaient rentrer dans leurs paroisses au plus tard le lendemain de leur arrivée à l’évêché.
Tous les mois, je convoquais le Conseil épiscopal, composé des pro-vicaires et des chefs des districts pour me fournir tous renseignements sur leurs districts.
Une chose me tenait à coeur : que mon archidiocèse fut self-sufficient, soit autonome économiquement. Le même problème et le même souci qu’à Vinhlong. Rome, c’est-à-dire la S.C. de la Propagation de la Foi, doit subvenir aux besoins des Missions. L’argent vient des fidèles : associés de l’Oeuvre de la Propagation de la Foi, de l’Oeuvre de la Ste Enfance, de l’Oeuvre de St-Pierre Apôtre. Les deux premières oeuvres suscitées par une chrétienne française de Lyon. Or, quoique encore dépendant de la S.C. de la Propagande, le Vietnam a eu sa hiérarchie constituée, non plus par les vicaires apostoliques, mais par archevêques et évêques. Donc, par principe, le Vietnam catholique doit se suffire à lui-même et laisser les aumônes des Oeuvres pontificales missionnaires aux missions proprement dites. Mais, comment faire comprendre cette notion à nos chrétiens ? Comment leur inculquer cela ?
D’abord, en rendant nos paroisses autonomes par le denier du culte. Et pour ce, faire participer nos fidèles à l’établissement du budget de la paroisse. Que le Curé rassemble ses paroissiens et leur révèle les besoins pécuniaires de la paroisse : école, soeurs enseignantes, culte, etc... et la participation de chaque chrétien et chrétienne adulte, chacun d’après ses possibilités. Le devis exposé par le Curé doit être approuvé par les paroissiens. La somme récoltée sera affichée publiquement, la moindre aumône ou contribution sera connue de tout le monde ; les dépenses également connues de toute la paroisse. Or, normalement, il suffisait à nos paroissiens de se priver, chaque semaine, d’un paquet de cigarettes pour faire marcher leur paroisse...
D’ordinaire, les curés n’aiment pas cette manière de faire ; ils préféreraient recevoir l’argent sans révéler le détail des dépenses, tandis que les chrétiens aiment savoir ce que l’on fait de leurs contributions. Il faut que la paroisse ait une seule âme. Peu à peu, l’habitude se prend et chacun se sent fier de pouvoir se suffire à soi-même. Je ne sais pas si mon successeur a continué à encourager nos fidèles à faire leur devoir et nos prêtres à partager leurs soucis avec leurs ouailles, car il est plus commode de ne pas rendre compte de la gestion ni d’en discuter pour obtenir l’assentiment des paroissiens, mais de disposer de leur denier à sa guise... Le dialogue est plus pénible que de décider tout par ukases.
A Vinhlong, j’ai dû toujours talonner mes prêtres pour dialoguer avec leur fidèles. Or, ce n’est pas condescendance, mais simplement justice que de disposer de l’argent des autres seulement avec leur accord. Mais l’habitude se prend vite car l’homme est, quand même, le reflet – bien pâle bien sûr ... de Dieu, son Créateur, qui est toute Justice.
° ° °
Mes prêtres de Hué (ma petite patrie) sont : ou mes aînés qui m’ont connu comme leur élève au Séminaire, ou mes condisciples ou mes élèves au Grand Séminaire, ou – enfin – mes cadets dans le Sacerdoce. Ils connaissent mes déficiences mais tous reconnaissent mon respect et mon affection à leur égard. Ils savent que, comme tout homme, je puis me tromper, mais ils sont aussi convaincu que je cherchais à faire de l’archidiocèse de Hué au moins l’égal des deux autres archidiocèses (Saigon et Hanoi).
Intellectuellement et pour le zèle apostolique, ils sont égaux ou plutôt en avance sur les autres diocèses. Economiquement, ils sont pauvres, n’ayant que les honoraires de la Ste-Messe pour subsister, mais ils se débrouillent bien pour convertir les païens.
Ils savent que le fardeau que je leur impose est indispensable pour leur bien et celui de leur diocèse. C’est pourquoi, malgré mon éviction sans raison valable de mon archevêché qui n’a jamais, auparavant, brillé d’un tel éclat que durant les quelques années de mon administration, mes prêtres me sont restés fidèles, à part quelques rares sujets qui formaient l’entourage de mon successeur Mgr Diên.
Ce dernier s’est aperçu, vite, de cette situation et s’est plaint auprès du St-Siège et croyait que j’entretenais une latente opposition. J’ai dû me défendre, en demandant à la S.C. de la Propagande, des preuves de mes agissements souterrains. Or, je n’ai jamais écrit autre chose, à mes rares correspondants de mon ancien siège, que d’obéir à leur évêque et que l’obéissance vaut mieux que tous les sacrifices. L’affaire en reste là. Je n’ai pas à regretter ma conduite envers Mgr Diên, car les membres de mon clergé, réfugiés soit en Amérique soit en Europe, après ma longue absence du Vietnam, continuent à me démontrer leur affection à mon égard.
° ° °
Peut-être se demande-t-on pourquoi j’ai tenu à avoir un Petit Séminaire à Hué, séminaire capable de contenir 300 étudiants ? C’est que nos chrétiens de Hué sont pauvres, c’est que à Hué il n y a qu’un collège secondaire dont j’ai été le proviseur et il était payant donc pas abordable à la grande majorité des catholiques. Les séminaristes qui poursuivent jusqu’au Sacerdoce ne sont pas très nombreux, mais ceux qui abandonnent le Séminaire gagnent bien leur vie comme employés de l’Etat. Là, ils nous rendent beaucoup de services ; ils servent aussi comme leaders de l’Action Catholique, ce qui est mieux encore. Mais je n’ai pas oublié la question des vocations tardives : j’ai donné cette consigne à nos prêtres du Séminaire : accueillir ces jeunes gens avec affection, leur conseiller de finir leurs études là où ils les ont commencées, une fois acquis le baccalauréat. Après ces études secondaires, on les prenait au Séminaire pour leur faire du Latin, uniquement, pendant 2 ans, ensuite, ils entraient au Grand Séminaire. Mais entre-temps, pour qu’ils conservent leur attrait vers le Sacerdoce : les réunir, les jours de congé, au Petit Séminaire pour leur faire partager la vie des séminaristes et leur parler de la vocation. Ce contact, périodique et fréquent, est indispensable car le Monde les attire et l’état ecclésiastique, à Hué surtout, est peu reluisant au point de vue économique. Est-ce à dire que les vocations tardives sont plus résistantes et donnent de meilleurs prêtres que celles qui parviennent au Sacerdoce par la voie normale des séminaires ? Rien ne le prouve. J’ai vu des vocations tardives qui ont flanché, d’autres qui ont persévéré comme le sont celles éduquées dans nos séminaires.
Un des buts de mon administration à Hué fut celui de faire, de nos religieuses Amantes de la Croix, de vraies religieuses avec les trois voeux de religion. Or, Hué possédait 5 couvents : à Dilsan, grande chrétienté de la province de Quâng-tri, à Covún, au chef-lieu de Quâng-tri, à Dúong-Son, province de Hué, Phûcam, aussi à Hué, et Kêbang, dans la province de Quâng-binh. Chaque couvent a ses biens, son noviciat, son rayon d’action apostolique, son école. Ce qui leur était commun était l’absence de voeux religieux, et cela depuis leur création au début de l’évangélisation du Vietnam.
Le premier Vicaire apostolique du Vietnam a été mis en présence de quelques associations de femmes vivant ensemble, sans aucun lien religieux. Il leur donna un règlement de vie commune, sans voeux réguliers. Certes, cette manière de faire était commode pour leurs employeurs, c’est-à-dire l’évêque et les prêtres : On pouvait les mettre à toutes les sauces : aller instruire les catéchumènes, aller faire la cuisine pour le séminaire, pour les hôpitaux, aller ramasser les récoltes des rizières de la Mission, etc... Elles sont à la disposition des curés, des ouvrières avec un salaire minime, des ouvrières travaillant jours et nuits quand on en avait besoin. Un minimum d’exercices de piété, un mois de vacances l’année et cela jusqu’à l’épuisement ; alors la Maison-mère les reprend et les ensevelit. Donc aucun droit, aucune défense, un minimum d’instruction religieuse.
Or, la femme vietnamienne est admirable de dévouement, de savoir-faire et aussi d’héroïsme. Peut-être est-elle supérieure à l’homme vietnamien. Les premiers insurgeants contre les envahisseurs du Vietnam – les Chinois – furent les deux soeurs Trung-trûc et Trung-Nhi. Elles levèrent l’étendard de la révolte, battirent les Chinois en plusieurs batailles puis, encerclées par des forces supérieures, elles se suicidèrent en se noyant dans un fleuve. Mais leur exemple fut suivi par nos compatriotes et ceux-ci réussirent à bouter les Chinois hors du Vietnam, après mille ans d’occupation...
Quand j’étais évêque à Vinhlong, nos deux couvents d’Amantes de la Croix, celui de Cai-mon et de Cainhum , avaient - depuis peu – leurs voeux religieux, mais leur emploi par le clergé, dans les paroisses, était abusif. Les religieuses étaient envoyées deux à deux : une âgée et une jeune, donc difficile communion. Théoriquement, elles devaient être toujours à deux ; pratiquement, souvent, elles se trouvaient seules : par exemple, quand le curé envoie l’une au presbytère prendre quelque chose ou à l’église pour lui apporter quelque affaire. Donc, un curé madré pouvait être « solus cum sola » avec une jeune religieuse, qu’il pouvait courtiser et abuser. Cela est arrivé, non pas souvent, mais bien des fois. A qui se plaindre ? La mission de la religieuse dure 10 mois, elle ne rentre au couvent que les 2 mois de juin et juillet pour se reprendre.
Jugez vous-mêmes de ma perplexité si, en confession, la religieuse m’apprenait qu’elle n’a eu le Messe et la Communion que rarement, chaque mois, car elle devait rester avec ses catéchumènes dans sa petite paroisse. Or, le prêtre ne dit qu’une seule messe, le dimanche et les jours de fête, dans la paroisse principale où est sa résidence. Donc, beaucoup de travail, une nourriture peu abondante car préparée par la jeune religieuse en vitesse et mangée en vitesse ; fréquentations des catéchumènes, non seulement femmes et enfants mais hommes mûrs et jeunes, vigoureux ; aliment spirituel très pauvre. Si ces soeurs pouvaient résister à la tentation, c’était de l’héroïsme.
J’ai donc dû prescrire à nos curés de payer le voyage des soeurs afin que, chaque semaine, elles puissent aller à la messe, se confesser et communier une fois au moins. Sinon, je leur enlevais les religieuses. Pour l’instruction, je les envoyais (les jeunes) chez les Soeurs françaises de St-Paul de Chartres pour acquérir le diplôme élémentaire et, pour celles plus douées, le brevet élémentaire afin qu’elles deviennent maîtresses d’études durant le postulat et au noviciat. Avec ces pauvres diplômes, elles figuraient comme des académiciennes auprès de nos prêtres qui, en dehors du latin, n’avaient aucun diplôme d’Etat. Donc, elles commencèrent à être respectées. Et quand j’ai fondé l’Université catholique à Dalat, quelques-unes y sont allées et ont pu prendre une licence, car la femme vietnamienne est très intelligente.
A Hué donc, j’ai choisi deux jeunes soeurs dans chaque couvent et les ai envoyées à Dalat, chez les Chanoinesse de St-Augustin qui y ont un collège secondaire. Là, ces religieuses Amantes de la Croix faisaient un noviciat, comme le font les vraies religieuses, ensuite, elles rentraient à Hué. Et, depuis, toutes les religieuses, âgées comme jeunes, ont dû faire leur noviciat et devenir de vraies religieuses, car le noviciat et l’école secondaire sont communs à Hué, dans l’ancien palais du Délégué apostolique. Ce palais de la Délégation de Hué avait été mis à ma disposition parce que, depuis que la capitale politique était à Saigon, le Délégué avait acquis un siège en cette ville pour être près du Gouvernement civil. Maintenant, il y a une Supérieure-générale commune à tous les couvents. Elle réside dans la maison où je suis né et dispose de la propriété de ma famille, avec un Conseil où siège l’une de mes propres nièces diplômée d’une licence acquise à Rome.
Les couvents conservent leurs propriétés mais paient pour l’entretien du noviciat et de l’école secondaire commune. Voilà donc une réussite qui est une véritable consolation pour moi. Le vent de la persécution souffle fort au Vietnam, mais les religieuses sont bien préparées à tenir tête, comme l`ont fait leurs devancières durant les 200 ans de persécutions. Aucune Amante de la Croix n’a renié Jésus en foulant aux pieds le Crucifix tandis que un prêtre et un séminariste l’ont fait ; ce dernier, à l’encontre du prêtre, s’est repenti de sa lâcheté et a été écrasé sous les pattes d’un éléphant dirigé par les persécuteurs. Le prêtre avait nom de Duyêt et le séminariste : le Bienheureux Bot. Ceci justifie mon opinion sur la valeur de la femme vietnamienne, unique au monde.
Toutes ces réalisations eurent lieu dans le laps de temps, relativement court, entre 1960 et 1968 = 8 ans, dont la moitié passée à Rome, d’abord pour participer à la préparation du Concile et, ensuite en participation au 2e Concile du Vatican. Ce furent les dernières étincelles de mon activité sacerdotale et épiscopale. Le reste de ma vie, c’est une série d’échecs, dont je raconterai le déroulement après avoir décrit mon humble rôle dans le Concile pastorale.
° ° °
Le 2e Concile du Vatican est dû à l’initiative de Jean XXIII, surnommé Le Bon, mais à mon humble avis, ce pape très pieux, très saint, était un faible. Il a avoué ce défaut ; à lui, on pourrait appliquer ce dicton : Video meliora, deteriora sequor « J’ai voulu ce qui était le meilleur pour exécuter, ensuite j’ai fait ce qui était moins bon ».
Jean XXIII avait voulu une renaissance de l’Eglise et avait tout un beau programme à cet effet. Mais, hélas, il ne pouvait pas ne pas céder aux instances des gens d’Eglise qui voulaient moderniser l’Eglise du Christ avec le Monde moderne qui est « in malo positus », qui est tourné vers le Mal. Car nous sommes la génération qui précède « la fin du monde », ou va se dérouler la dernière bataille de Satan contre Dieu : Bataille décisive qui, après diverses péripéties, finit par la défaite de Lucifer et le triomphe final du Christ, par le Jugement dernier.
Satan avait comme armée : le Communisme athée. Le Communisme du Juif Marx a un aspect alléchant : il veut le bien du peuple, il veut une grande justice distributive, il veut détruire le Capitalisme sans Dieu, dans lequel le but unique est le gain individuel par l’exploitation des travailleurs, des ouvriers. Ce qui est louable. Mais son but s’arrête là : le bonheur, le paradis en ce monde. Pour lui, le ciel n’existe pas. Pour lui, la Religion n’est que l’opium pour étourdir le peuple que les capitalistes font travailler pour remplir leurs coffre-forts à l’instar des chiens de chasse entretenus dans le but de procurer le gibier. Donc, il est le direct descendant des philosophes ayant à leur tête : Voltaire. Donc, le mot d’ordre était : Ecrasons l’infâme : le Catholicisme, Jésus-Christ. Certes, l’Eglise du Christ, dans la personne de certains de ses chefs : les Papes, s’appuyait sur les puissants, sur les riches, croyant y trouver un appui pour le triomphe de l’Eglise.
Ces papes n’ont pas compris la stratégie de Jésus-Christ : Bienheureux les pauvres d’esprit – Bienheureux les persécutés. L’Eglise progresse par la Croix et non pas par le Dollar.
Le 2e Concile aurait dû commencer par rappeler ce principe : le triomphe par la Croix, le triomphe par le Martyr. Donc, sus au Communisme-sans-Dieu ou, plutôt, contre Dieu. Le paradis du Communisme est le même que celui du Capitalisme : le paradis terrestre.
Le travail que le Dieu-créateur a imposé à l’Homme, est pour le développement, la perfection de ses activités intellectuelles, surnaturelles, corporelles et non pas pour le seul but de remplir son ventre. Le Vatican II semble avoir pour but le même que le Communisme : le bonheur temporel de l’Homme. C’est pourquoi a éclaté ce scandale : interdiction de la moindre attaque contre le Communisme. D’où le dogme de « la bonté naturelle de toutes espèces de croyances ». D’où le triomphe de l’axiome protestant : la liberté de la pensée et l’égalité de toutes les pensées religieuses. D’où l’oubli de la dernière et essentielle recommandation du Christ avant son Ascension : « Allez enseigner toutes les nations. Quiconque sera baptisé au nom du Père, du Fils et du St-Esprit sera sauvé. Je serai avec vous jusqu’à la fin des siècles ». D’où cet effort pour rendre la Religion catholique plus facile, en écourtant les prières des prêtres, en édictant la non-culpabilité pour ceux qui ne prient plus le Bréviaire, la Méditation ; la rédaction d’une Messe-passe-partout pour les catholiques et les protestants, les premiers partisans de la Transsubstantiation, les seconds n’y croyant pas mais prétendant que la Messe n’est que le Souvenir de la Cène, donc aucun « Mysterium Fidei ».
Vatican II n’osait pas interdire la Messe en latin, langue commune de la Chrétienté, surtout en ce qui concerne la partie centrale de la Messe : le Canon ; tout en permettant l’usage de la langue vulgaire pour les autres parties. Soi-disant pour que les fidèles puissent mieux entendre et comprendre la Messe, en oubliant que les fidèles, en se servant du Missel bilingue, suivaient bien la Messe dit en latin par le célébrant. En supprimant, dans la « Nouvelle Messe de Bugnini » composée de concert avec les protestants, surtout avec les moines protestants de Taizé, qui sont les Pères de l’Eglise moderne, on a supprimé la langue officielle de l’Eglise catholique latine qui est, aussi, la langue diplomatique de l’Europe. On croyait que cette condescendance du Vatican II pour nos frères séparés amènerait vers nous les protestants. Or, il n’y a aucun retour vers le Catholicisme ou, plutôt, cet écourtement de la prière, de la méditation, cette priorité donnée à l’action ont provoqué tant d’abandons de la prêtrise, que des mariages de prêtres, de religieux se font partout, que des religieuses quittent le cloître. Plus de vocations pour le séminaire ni pour les couvents. Le recrutement est l’apanage des Ordres qui sont restés sévères et fidèles à leurs anciennes Constitutions.
Les églises se vident de fidèles. La Messe nouvelle, où le prêtre n’est que le président de l’assemblée – et non plus l’unique sacrificateur – voit se raréfier son assistance. Chaque pays a sa Messe, adaptée à la mentalité de son peuple : les Japonais assis sur les talons, sur une natte en guise d’autel. Le crucifix monumental, qui domine nos anciennes églises, se réduit à un petit crucifix laissé couché sur une petite table qui sert d’autel, sans pierre sacrée. La Messe bâclée en une vingtaine de minutes. Les rares communiants qui communient debout et non plus à genoux, reçoivent l’hostie dans leur main et la croquent comme un bonbon, au lieu de le recevoir sur leur langue. La Confession auriculaire n’est plus de mode, on se contente du Confiteor de la Messe, malgré le rappel de la S.C. pour la Défense de la Foi. Le prêtre dit la Messe, montrant le dos au tabernacle...
On comprend, maintenant, la révolte de Mgr Lefebvre, le succès de son Séminaire d’Ecône et la multiplication de ses Prieurés, en France et ailleurs. Et le malaise dans tous les pays chrétiens d’Europe et d’Amérique. L’avenir de l’Eglise est menacé par le manque de vocations. Le Marxisme triomphe partout. L’Afrique est attaquée par les Cubains de Castro. L’Amérique du Sud, où autrefois la Religion Catholique régnait sans contestation, est troublée par la lutte entre Traditionalistes et partisans du Vatican II. La Russie soviétique est agissante partout, sa flotte est la plus forte du monde, son budget militaire dépasse celui des Etats-Unis. Elle intervient en Afrique, en Amérique du Sud, partout – même au Vatican – où Paul VI, malgré tant de déboires, persiste dans sa politique de la main tendue au Communisme.
Ce qui précède fait comprendre mon rôle au Concile : mes quelques interventions ont eu pour but de défendre l’Eglise du Christ contre les attaques modernistes, contre les dégradations de l’Eglise menées par le parti moderniste bien organisé, guidée par Suenens et d’autres prélats comme Marty, l’actuel Cardinal-archevêque de Paris. Je dois aussi ajouter que la majorité des Pères du Concile, en particulier ceux de l’Amérique du Nord, ne comprenaient pas bien le Latin, langue officielle et obligatoire du Concile. Ils passaient une grande partie des débats conciliaires aux deux bars installés à St-Pierre, en buvant du café ou du Coca-cola, et ne rentraient qu’à l’heure du vote sans savoir, au juste, quoi voter. Ils votèrent, au hasard, tantôt OUI, tantôt NON (pour changer, comme ils le dirent) et ces votes, officiellement, comptaient comme « inspirés du St-Esprit » et s’additionnaient en « majorité ». J’en ai vu aussi d’autres Pères, très peu, qui ignorants n’allaient pas invoquer le St-Esprit dans les bars mais, assis dans leurs sièges, égrenaient leur chapelet puis consultaient, pour leurs votes, le conseil de leurs voisins...
Il aurait fallu, au Concile, innover la mode des traductions simultanées, en anglais surtout ou en français, pour que tout le monde eût ce dont il était question pour pouvoir voter selon la conscience et remplir, en toute connaissance, le rôle de Pères du Concile. Tout le monde a vu un Cardinal américain quitter le Concile après quelques sessions et rentrer dans la patrie des dollars pour y ramasser de l’argent car le Concile coûtait très cher au St-Siège, à cause de la location des installations à la basilique de St-Pierre durant tout le temps du Concile. Et les buvettes exigeaient d’énormes dépenses...
On vit, au Concile, aussi beaucoup de retournements d’opinion ; des prélats, au début acharnés traditionalistes, devinrent, après quelques séances, modernistes quand ils s’aperçurent que le St-Père (qui n’était pas présent au Concile, soi-disant pour montrer qu’il ne voulait pas influencer sur les opinions des Pères mais qui en suivit les débats par la radio) était pour les modernistes. Ils changeaient donc de casaque pour ne pas louper, plus tard, les hautes charges ecclésiastiques et, surtout, la calotte pourpre du Cardinalat. Ainsi fit, par exemple, le Secrétaire de la S.C. de l’Index, actuellement Congrégation pour la Défense de la Foi, qui trahit son chef, le vénéré Cardinal Ottaviani, pour suivre Suenens.
Le dépouillement des votes et des interventions des Pères, conservés aux Archives du Vatican, confirmerait mes assertions. Nous ne devons pas nous étonner de cet état de choses. Les Conciles précédents présentaient les mêmes phénomènes. Un Athanase luttait presque seul en faveur de l’Orthodoxie et il lui fallait une immense énergie et patience pour obtenir une majorité. Or, à son époque, les Pères du Concile étaient quelques centaines tandis que Vatican II comptait plus de 2.000 participants. Or, les évêques sont choisis, moins pour leurs connaissances théologiques que pour leur savoir-faire et leurs bonnes relations avec les Nonces et Délégués apostoliques qui indiquent aux Dicastères romains les successeurs des sièges vacants.
Ma présence au Concile, loin du Vietnam, a sauvé ma vie. Autrement, j’aurais été massacré comme le furent mes trois frères, le Président Diêm, Nhu et Cân. Car le Concile conclu, tandis que mes collègues vietnamiens du Sud rentrèrent au Vietnam, les Américains obligèrent le Gouvernement du Sud-Vietnam à me refuser le visa de rentrée. Sans le dire ouvertement, car il n’y avait pas de raison pour me refuser ce retour : l’ambassade vietnamienne me demandait de patienter pendant qu’elle contactait le Gouvernement à Saigon. J’attendis quelques mois et recourrai au St-Père pour qu’on m’accordât ce permis de rentrer.
Je ne sais pas ce que fit le St-Père Paul VI, mais il profita de mon impossibilité de rejoindre mon siège d’archevêque de Hué pour m’imposer ma démission et nommer, à ma place, son favori Mgr Diên. Pour ne pas moisir dans l’oisiveté, j’ai demandé à faire du Ministère en Italie, comme vicaire de paroisse, ce qui ne me coûtait guère car je parle couramment l’italien et aime les Italiens. D’abord, je me rendis à l’Abbaye de Casamari où le Révérendissime Abbé me connut quand j’y accompagnais Mgr Lê-hûû-Tu, un cistercien appartenant donc au même Ordre que celui de Casamari, abbaye très ancienne fondée par St-Bernard de Clairvaux. Il me proposa d’y fixer ma demeure. J’y ai passé des mois, heureux d’être le confesseur des moines du monastère et des fidèles de la paroisse dépendant de l’abbaye. Mais après plus d’un an de séjour, j’ai dû la quitter, sans faute de ma part. Ce fut le commencement de la dernière époque de ma vie qui ne comptera plus que des échecs. Echecs providentiels.
° ° °
|