Consolations pour les fidéles en temps de persécutions, de schismes, d'hérésies
par
M. Demaris
Prétre catholique, Professeur de théologie
dans la maison des missionnaires de Saint-Joseph à Lyon.
Exilé vers 1803, et mort pour la foi de Jésus-Christ.
Suivies d'une petite lettre de Monseigneur de Marbœuf
aux fidéles de son diocèse du 6 décembre 1796
Beauchêne - Imprimerie M. Pazilleau
M. Demaris, voyant les fidèles
menacés de se trouver sans pasteurs, sa charité, quoique enchainé, lui
fit ecrire (à leur prière) la Règie de conduite qui suit, pour leur
consolation.
MES CHERS ENFANTS,
Placés au milieu des vicissitudes humaines et du danger qu'offre le
choc des passions, vous adressez vos charitiés à votre père et vous
demandez une règle de conduite.
Je vais vous la montrer et tâcher de porter dans vos âmes la
consolation dont vous avez besoin : Jé-sus-Christ, le modèle des
chrétiens, nous apprend par sa conduite ce que nous devons faire dans
les moments pénibles où nous nous trouvons. Quelques Pharisiens lui
dirent un jour : « Retirez-vous d'ici, parce que Hérode veut vous faire
mourir. » Il leur répondit : « Allez dire à ce renard que je chasse les
démons, et que j'achève à faire des guérisons aujourd'hui et demain, et
que le troisieme jour ma fin viendra. Mais je dois agir encore
aujourdliui et demain et après-demain, parce qu'un prophete ne doit pas
mourir hors de Jérusalem. »
Vous tremblez, mes chers enfants; tout ce que vous voyez, tout ce que
vous entendez est effrayant, mais consolez-vous : c'est la volonté de
Dieu qui s'accomplit. Vos jours sont comptés, sa providence pèse sur
vous. Chérissez ces hommes que I'humanité vous offre comme farouches ;
ce sont des instruments que le ciel emploie à ses desseins et, comme
une mer courroucée, ils ne passeront pas la ligne prescrite contre les
flots qui se balancent, s'agitent et se menacent.
Le tourbillon orageux de la révolution qui frappe à droite et à gauche,
et les bruits qui vous alarment, ce sont les menaces d'Hérode : qu'ils
ne vous détournent point des bonnes œuvres ; qu'ils n'altèrent noint
votre confiance et qu'ils ne flétrissent point l'éclat de vos vertus,
qui vous unissent à Jésus-Christ. Il est votre modèle, et les menaces
d'Hérode ne le détournent point de la carrière de sa destinée.
Je sais que vous pouvez être privés de votre liberté, que l'on peut
même chercher à vous faire mourir. Je vous dirai donc ce que saint
Pierre disait aux premiers fidèles : « Ce qui est agréable à Dieu est
que, dans la vue de lui plaire, nous endurions les maux et les peinés
qu'on nous fait souffrir avec injustice : en effet, quel sujet de
gloire aurez-vous si c'est par vos fautes que vous endurez de mauvais
traitements ? »
« Mais si en faisant bien vous les souffrez avec patience, c'est là ce
qui est agréable à Dieu, car c'est à quoi vous avez été appelés,
puisque Jésus-Christ a souffert pour nous, vous laissant son exemple,
afin que vous marchiez sur ses traces. Lui qui n'avait commis aucun
péché, et de la bouche duquel nulle parole trompeuse n'est jamais
sortie, quand on I'a chargé d'injures, il n'a point répondu par des
injures ; quand on l'a maltraité, il n'a point fait de menaces, mais il
s'est livré entre les mains de celui qui le jugeait injustement. »
Les disciples de Jésus-Christ, dans leur fidélité à Dieu, sont fidèles
à leur patrie et pleins de soumission et de respect envers les
autorités ; fermes dans leurs principes, avec une conscience sans
reproche, adorant la volonté de Dieu. Ils ne doivent point fuir
lâchement la persécution : quand on aime la croix, on est hardi Ã
l'embrasser et l'amour même nous réjouit. Elle est nécessaire à notre
union intime avec Jésus-Christ ; elle- peut arriver à chaque instant,
mais elle n'est pas toujours si méritoire ni si glorieuse. Si Dieu ne
vous appelle pas, au martyre, vous serez comme ces illustres
confesseurs dont saint Cyprien dit : « Que sans été morts par la main
du bourreau, ils ont cueilli le mérite du martyre, parce qu'ils y
étaient préparés. »
La conduite de saint Paul, tracée dans les Actes des apôtres (Chapitre
XXI), nous donne ce beau modèle, tiré sur celui de Jésus-Christ :
Allant à Jérusalem, il apprit, à Césarée, qu'il y serait exposé à la
persécution ; les fidèles le prièrent de l'éviter, mais il se croyait
appellé à être crucifié avec Jésus-Christ, si telle était sa volonté.
Pour toute réponse, il leur dit : « Ah ! cessez d'attendrir mon cœur
par vos larmes ; je vous déclare que je suis prêt à souffrir, Ã
Jérusalem, non seulement la prison, mais la mort même pour l'amour de
Jésus-Christ. »
Voilà , mes chers enfants, quelles doivent être vos dispositions : le
bouclier de la foi doit nous armer, l'espérance doit nous soutenir et
la charité doit nous diriger en tout. Si en tout et toujours nous
devons être simples comme des colombes et prudents comme des serpents,
nous devons l'être surtout lorsque nous sommes contristés pour
Jésus-Christ.
Je vous rappellerai ici une maxime de saint Cyprien qui, dans ces
moments, doit être la regle de votre foi et de votre piété : « Ne
cherchons pas trop, dit cet illustre martyre, l'occasion du combat et
ne la fuyons pas trop: attendons-la de l'ordre de Dieu et espérons tout
de sa miséricorde. Dieu demande de nous plutôt une humble confession
qu'une protestation trop hardie. L'humilité est toute notre force. »
Cette maxime nous invite à mediter sur la force, la patience et même la
joie avec Iaquelle les saints ont souffert.
Voyez ce que dit saint Paul, vous serez convaincu que lorsqu'on est
animé de la foi, les maux ne nous affectent qu'en dehors et ne sont
qu'un instant de combat que la victoire couronne. Cette vérité
consolante ne peut être appréciée que du juste. Aussi ne soyez pas
surpris si, de nos jours, nous croyons ce que saint Cyprien vit de son
temps, lors de la première persécution : que la plus grande partie des
fidèles couraient au combat avec joie !
Aimer Dieu et ne craindre que lui seul, tel est l'apanage du petit
nombre des élus. C'est cet amour et cette crainte qui font les martyrs,
en détachant les fidèles du monde et les attachant à Dieu et à sa
sainte loi.
Pour soutenir cet amour et cette crainte dans vos cœurs, veillez et
priez, augmentez vos bonnes œuvres et joignez à cela des instructions
édifiantes dont les premiers fidèles nous ont donné l'exemple.
Entretenez-vous des confesseurs de la foi et glorifiez ensuite le
Seigneur, selon l'usage des premiers chrétiens, que nous retrace le
chapitre des Actes des Apôtres.
Cette pratique vous sera d'autant plus salutaire que vous êtes plus
privés des ministres du Seigneur, qui alimentaient vos âmes du pain de
la parole. Vous pleurez ces hommes précieux à votre piété, j'apprécie
votre perte : vous paraissez isolés à vous-mêmes, mais cet isolement,
aux yeux de la foi, ne peut-il pas vous être salutaire ? C'est par la
foi que les fidèles sont unis. En approfondissant cette vérité, nous
croyons que l'absence du corps ne rompt point cette union, parce
qu'elle ne rompt pas les liens de la foi, mais plutôt qu'elle
l'augmente en la dépouillant de toute sensibilité.
Les chretiens qui ne vivent que de la foi ne vivent que par la foi. Si
vous fûtes unis par ce lien aux ministres du Seigneur que vous
respectez, consolez-vous : leur absence purifie et avive l'amitié qui
nous unit. La foi nous rend présents ceux que nous aimons dans les
rapports à notre salut, quellcs que soient aussi les distances et les
chaînes qui les séparent de nous ; la foi nous donne des yeux si
perçants que nous pouvons les voir quelque part qu'ils soient : quand
ils seraient aux extrémités de la terre, ou même que la mort les
séparerait de nous. Rien n'est éloigné de la foi ; elle pénètre au plus
profond de la terre, comme au plus haut des cieux. La foi est au-dessus
des sens, et son empire est au-dessus du pouvoir des hommes. Qui peut
nous ôter le souvenir ? Qui peut nous empècher de nous présenter devant
Dieu avec ceux que nous aimons et de lui demander notre pain quotidien
par des prières unies à celles de ceux, que nous aimons ? Il ne suffit
pas, mes enfants, de vous consoler sur l'absence des ministres du
Seigneur, d'étancher les larmes que vous répandez sur leurs chaînes.
Cette perte vous privant des sacrements et des consolations
spirituelles, votre piété s'alarme ! Elle se voit isolée. Quelque
légitime que soit votre desolation, n'oubliez pas que Dieu est votre
père et que s'il permet que vous soyez privés des médiateurs qu'il
avait établis pour dispenser ses mysteres, il ne ferme pas pour cela
les canaux de ses grâces et de ses miséricordes. Je vais vous les
offrir comme les seules ressources auxquelles nous puissions recourir
pour nous purifier. Lisez ce que je vais écrire avec les mêmes
intentions que j'ai eues en vous Ies écrivant : Ne cherchons que la
vérité et notre salut dans l'abnégation de nous-mêmes, dans notre amour
pour Dieu et une parfaite soumission à sa volonté.
Vous connaissez I'efficacité des sacrements ; vous savez l'obligation
qui nous est imposée de recourir au sacrement de pénitence pour nous
purifier de nos péchés. Mais, pour profiter de ces canaux de
miséricorde, il faut des ministres du Seigneur. Dans la position où
nous sommes : sans culte, sans autel, sans sacrifice, sans prêtre, nous
ne voyons que le ciel ! et nous n'avons plus de médiateur parmi les
hommes ! ... Que cet abandon ne vous abatte point : la foi nous offre
Jésus-Christ, ce médiateur immortel ; il voit notre cœur, il entend nos
désirs, il couronne notre fidélité ; nous sommes, aux yeux de sa
misericorde toute-puissante, ce malade de trente-huit ans auquel il
dit, pour le guérir, non de faire venir quelqu'un qui le jette dans la
piscine, mais de prendre son lit et de marcher...
Si les événements de la vie varient la position des fidèles, ils
varient de même nos obligations ; autrefois, nous étions ces serviteurs
qui avaient reçu cent talents : nous avions l'exercice paisible de
notre religion. Actuellement, nous n'avons qu'un seul talent, qui est
notre cÅ“ur : faisons-le fructifier et notre récompense sera égale Ã
celle que nous aurions reçue si nous en avions fait fructifier
davantage. Dieu est juste, il ne demande pas de nous l'impossible ;
mais parce qu'il est juste, il demande de nous la fidélité dans ce qui
est possible. Plein de respect pour les lois divines et
ecclésiastiques, qui nous appellent au sacrement de pénitence, je dois
vous dire qu'il est des circonstances où ces lois n'obligent pas ; il
est essentiel pour votre instruction et votre consolation que vous
connaissiez bien ces circonstances afin de ne point prendre votre
propre esprit pour celui de Dieu.
Les circonstances où ces lois n'obligent pas sont celles où la volonté
de Dieu se manifeste pour opérer notre salut, sans l'intermédiaire des
hommes. Dieu n'a besoin que de lui pour nous sauver, quand il le veut.
Il est la source de la vie et il supplée à tous les moyens ordinaires
qu'il a établis pour opérer notre salut, par des moyens que sa
miséricorde nous dispense selon nos besoins. C'est un père tendre qui,
par des moyens ineffables, secourt ses enfants lorsque, se croyant
abandonnés, ils ne cherchent que lui et ne soupirent pour lui.
Si dans le cours de notre vie nous avions négligé le moindre des moyens
que Dieu et son Eglise ont établis pour nous sanctifier, nous aurions
été des enfants ingrats : mais si nous allions croire que dans des
circonstances extraordinaires nous ne pouvons nous passer même des plus
grands moyens, nous oublierions et nous insulterions la sagesse divine,
qui nous éprouve et qui, en voulant que nous en soyons privés, y
supplée par son esprit.
Pour vous exposer, mes chers enfants, votre règle de conduite avec
exactitude, je vais rapprocher de votre situation les principes de la
foi et quelques exemples de l'histoire de la religion, qui en
dévelop-peront le sens et vous consoleront dans l'application que vous
pourriez en faire.
Il est de foi que le premier et le plus nécessaire de tous les
sacrements est le baptême : il est la porte du salut et de la vie
éternelle ; cependant, le désir, le vœu du baptême, suffit en certaines
occasions : les catéchumènes qui étaient surpris par la persécution ne
le recevaient que dans le sang qu'ils répan-daient pour la religion.
Ils trouvaient la grâce de tous les sacrements dans la confession libre
de leur foi et ils étaient incorporés dans l'Eglise par le
Saint-Esprit, lien qui unit tous les membres au chef.
C'est ainsi que se sont sauvés les martyrs ; leur sang leur a servi de
baptême : c'est ainsi que se sauveront tous ceux qui, instruits de nos
mystères, désireront (selon leur foi) de les recevoir. Telle est la foi
de l'Eglise : elle est fondée sur ce que saint Pierre dit : "Qu'on ne
peut refuser l'eau du baptême à ceux qui ont reçu le Saint-Esprit.
Quand on a l'esprit de Jésus-Christ, quand, par amour pour lui, nous
sommes exposés à la persécution, privés de tout secours, accablés des
chaînes de la captivité, quand on nous conduit à I'écha-faud, nous
avons alors tous les sacrements dans la croix. Cet instrument de notre
rédemption ren-ferme tout ce qui est nécessaire pour notre salut.
La tradition de l'Eglise, dans ses plus beaux siècles, confirme cette
vérité dogmatique. Les fidèles qui ont désiré les sacrements, les
confesseurs et les martyrs, ont été sauvé sans le baptême et sans aucun
des sacrements lorsqu'ils ne pouvaient les recevoir. D'où il est aisé
de conclure que nul sacrement n'est nécessaire dès qu'il est impossible
de le recevoir : et cette conclusion est la foi de l'Eglise.
Saint Ambroise regardait Ie pieux empereur Valentinien comme un saint,
quoiqu'il fût mort sans le baptême, qu'il avait désiré, mais qu'il
n'avait pu recevoir. C'est le désir, c'est la volonté qui nous sauve :
« Dans ce cas, dit ce saint docteur de l'Eglise, celui qui ne reçoit
pas le sacrement de la main des hommes le reçoit de la main de Dieu.
Celui qui n'est pas baptisé par les hommes l'est par la piété, l'est
par Jésus-Christ. »
Ce que nous dit du baptême ce grand homme, disons-le de tous les
sacrements, de toutes les cérémonies et de toutes les prières dans les
moments actuels.
Celui qui ne peut se confesser à un prêtre, mais qui, ayant toutes les
dispositions nécessaires au sacrement, le désire et en forme le vœu
ferme et constant, entend Jésus-Christ qui, touché et témoin de sa foi,
lui dit ce qu'il dit autrefois à la femme pécheresse : « Allez, il vous
est beaucoup pardonné, parce que vouz avez beaucoup aimé. »
Saint Léon dit que l'amour de la justice contient en soi toute
l'autorité apostolique ; en cela il exprime la foi de l'Eglise.
L'application de cette maxime a lieu pour tous ceux qui, comme nous,
sont privés du ministère apostolique par la persécution qui éloigne ou
incarcère les vrais ministres de Jésus-Christ, dignes de la foi et de
la piété des fidèles. Elle a lieu surtout si nous sommes frappés par la
persécution : la croix de Jésus-Christ ne laisse point de tache quand
on l'embrasse et qu'on la porte comme il faut. Ici, au lieu de
raisonnements, écoutons le langage des Saints. Les confesseurs et les
martyrs d'Afrique, écrivant à saint Cyprien, disaient hardiment qu'on
revenait la conscience pure et nette des tribunaux où on avait confessé
le nom de Jésus-Christ ; ils ne disaient pas qu'on y allait avec une
conscience pure et nette, mais qu'on en revenait avec une conscience
pure. Rien ne fait taire les scrupules comme la croix !
Entourés des extrémités qui sont les épreuves des Saints, si nous ne
pouvions confesser nos péchés aux prêtres, confessons-les à Dieu. Je
sens, mes enfants, votre délicatesse et vos scrupules : qu'ils cessent
et que votre foi et votre amour pour la croix augmentent. Dites-vous Ã
vous-mêmes et, par votre conduite, dites à tous ceux qui vous verront
ce que disait saint Paul : « Qui me séparera de la charité de
Jésus-Christ ? » (Saint Paul aux Romains, 8,35) Saint Paul était alors
dans votre position et il ne disait pas que la privation de tout
ministre du Seigneur, où il pourrait se trouver, pouvait le séparer de
Jésus-Christ et altérer en lui la charité : il savait que, dépouillé de
tout secours humain et privét dans la croix, tous les sacrements et les
moyens de salut nécessaires pour y parvenir.
De ce que je viens de dire, il vous est aisé de voir une grande vérité,
bien propre à vous consoler et à vous donner du courage : c'est que
votre conduite est une vraie confession devant Dieu et devant les
hommes. Si la confession doit précéder l'absolution, ici votre conduite
doit précéder les grâces de sainteté ou de justice que Dieu nous
dispense, et c'est une confession publique et continuelle. La
confession est nécessaire, dit saint Augustin, parce qu'elle renferme
la condamnation du péché ; ici, nous le condamnons d'une manière si
publique et si solennelle qu'elle est connue de toute la terre, et
cette condamnation, qui est cause que nous ne pouvons approcher d'un
prêtre, n'est-elle pas plus méritoire qu'une accusation de péché
particuliere et faite, en secret ? N'est-elle pas plus satisfactoire et
plus édifiante ? La confession secrète de nos péchés au prêtre nous
coûtait peu, et celle que nous faisons aujourd'hui est soutenue par le
sacrifice général de nos biens, de notre liberté, de notre repos, de
notre réputation et peut-être même de notre vie !
La confession que nous faisons au prêtre n'était guère utile qu'à nous,
au lieu que celle que nous faisons à présent est utile à nos frères et
peut servir à toute l'Eglise. Dieu nous fait, tout indignes que nous
sommes, la grâce de vouloir se servir de nous pour montrer que c'est un
crime énorme d'offenser la vérité et la justice, et notre voix sera d'
autant plus intelligible que nous souffrirons de plus grands maux avec
plus de patience.
Notre exemple dit aux fidèles qu'il y a plus de mal qu'on ne pense Ã
faire ce que l'on exige de nous. Nous ne nous confessons pas d'un
péché, mais nous confessons la vérité, ce qui est la confession la plus
noble et la plus nécessaire dans les circonstances présentes. Nous ne
confessons pas nos péchés, en secret : nous confessons la vérite en
public ! Nous sommes persécutés, mais la vérité n'est point captive et
nous avons cette consolation, dans l'injustice que nous souffrons, que
nous ne retenons point la vérité de Dieu dans l'injustice, comme dit
l'Apôtre des nations, et que nous apprenons à nos frères à ne I'y point
retenir. Enfin si nous ne confessons point nos péchés, l'Eglise les
confesse pour nous.
Telles sont les règles admirables de la Providence, qui permet ces
épreuves pour nous faire mériter et nous faire réfléchir sérieusement
sur l'usage que nous avons fait des sacrements.
L'habitude et la facilité que nous avions de nous confesser nous
laissait souvent dans la tiédeur, au lieu qu'à présent, privés de
confesseurs, on se replie sur soi-même et la ferveur augmente.
Regardons cette privation comme un jeûne pour nos âmes et une
préparation à recevoir le baptême de la pénitence qui, vivement désiré,
deviendra une nourriture plus salutaire. Tâchons d'éloigner de notre
conduite, qui est notre confession devant les hommes et notre
accusation devant Dieu, tous les défauts qui peuvent s'être glissés
dans nos confessions ordinaires ; surtout le peu d'humilité intérieure.
Ce que j'ai dit est plus que suffisant ; cependant, je ne sais si
j'aurai réussi à vous tranquilliser sur les anxiétés et les scrupules
que la délicatesse élève dans une âme réduite à se juger elle-même et Ã
se diriger d'après ses propres mouvements.
Je sens, mes enfants, toute l'importance de votre sollicitude ; mais,
quand on se fie à Dieu, il ne faut pas le faire à demi : ce serait
manquer de confiance que de regarder les moyens par lesquels Dieu
appelle et conserve, incomplets et laissant quelque chose à désirer
dans l'ordre de la grâce. Vous trouviez dans la sagesse, la maturité et
l'expérience des ministres du Seigneur des conseils et des pratiques
efficaces pour éviter le mal, faire le bien et avancer dans la vertu,
tout cela ne tient point au caractère sacramentel, mais aux lumières
particulières : un ami vertueux, zélé et charitable peut être en ce
point votre juge et votre directeur. Les personnes pieuses n'allaient
pas seulement chercher au tribunal des instructions et des lumières :
elles s'ouvraient aux personnes remarquables par leur sainte vie en des
entretiens familiers. Faites de même ; mais que la charité la plus
directe règne dans ce commerce mutuel de vos âmes et de vos désirs :
Dieu les bénira, et vous trouverez les lumières dont vous avez besoin.
Si ce moyen vous était impossible, reposez-vous sur les miséricordes de
Dieu : il ne vous abandonnera pas ; son esprit parlera lui-même a vos
cœurs par des inspirations saintes, qui les enflammeront et les
dirigeront vers les objets augustes de vos destinées.
Vous me trouverez concis sur ce sujet. Vos désirs vont bien au-delà ;
mais un peu de patience, le reste de ma lettre répondra entièrement Ã
votre attente ; on ne peut pas tout dire à la fois, surtout dans un
sujet aussi délicat et qui exige la plus grande exactitude. Je vais
continuer de vous parler comme je me parle à moi-même :
Eloignés des ressources du sanctuaire et privés de tout exercice du
sacerdoce, il ne nous reste de médiateur que Jésus-Christ : c'est à lui
que nous devons recourir pour nos besoins ; c'est devant sa majesté
suprême que nous devons déchirer sans ménagement le voile de nos
consciences et, dans la recherche du bien et du mal que nous avons
faits, le remercier de ses grâces, nous reconnaitre coupables de nos
offenses... et prier ensuite qu'il nous pardonne et nous trace les
sentiers de sa volonté sainte (ayant dans le cœur le désir sincère de
la faire à son ministre, quand et sitôt que nous le pourront). Voilà ,
mes enfants, ce que j'appelle se confesser à Dieu. Dans une telle
confession bien faite, Dieu lui-même vous absoudra ! C'est l'Evangile
qui nous l'apprend en nous proposant l'exempie du publicain qui,
humilié devant Dieu, s'en retourna justifié, puisque la meilleure
marque de l'absolution, c'est la justice, qui ne peut être liée,
puisque c'est elle qui délie. Voilà ce que, dans l'isolement total où
nous sommes, nous devons faire. L'Ecriture sainte nous trace ici nos
devoirs.
Tout ce qui tient à Dieu est saint : quand nous souffrons pour la
vérité, nos souffrances sont celles de Jésu-Christ, qui nous honore
d'un caractère particulier de ressemblance avec lui et avec sa croix.
Cette grâce est le plus grand bonheur qui puisse arriver à un mortel
pendant sa vie.
C'est ainsi que dans toutes les positions pénibles qui nous privent des
sacrements, la croix portée chrétiennement est la source de la
rémission de nos fautes ; comme, portée autrefois par Jésus-Christ,
elle le fut des fautes de tout le genre humain. Douter de cette vérité,
c'est faire injure à notre Sauveur crucifié, c'est ne reconnaitre pas
assez la vertu et le mérite de la croix ! ...
Dites-moi : serait-il possibte que le bon larron ait reçu le pardon de
ses fautes et que le fidèle qui abandonne tout pour son Dieu n'y reçût
pas le pardon des siennes ?
Des saints Pères observent que le bon larron fut criminel jusqu'à la
croix pour montrer aux fidèles ce qu'ils doivent espérer de cette croix
lorsqu'ils l'embrassent et y demeurent attachés pour la justice et pour
la vérité. Jésus-Christ, terminant ses souffrances, est entré dans le
ciel par la croix. Nous sommes ses disciples, il est notre modèle ;
souffrons comme lui et nous entrerons dans l'héritage qu'il nous a
préparé par la croix.
Mais, pour être sanctifié par la croix, il ne faut pas être à soi-même,
il faut être tout à Dieu ; il faut que notre conduite retrace les
vertus de Jésus-Christ : il ne suffit pas, dans ces moments, qu'animés
de son amour, vous vous reposiez sur son amour, vous vous reposiez sur
son sein comme saint Jean ; il faut que vous le serviez avec fermeté et
constance sur le Calvaire et sur la croix : là , en vous confessant Ã
Dieu, si votre confession à Dieu n'est pas couronnée par l'imposition
des mains des prêtres, elle le sera par l'imposition des mains de
Jésus-Christ. Voyez ses mains adorables qui paraissent si pesantes à la
nature et qui sont si légères à ceux qui l'aiment ! ... Elles sont
étendues sur vous depuis le matin jusqu'au soir pour vous combler de
toutes sortes de bénédictions si vous ne les repoussez pas vous-même.
Il n'y a point de bénédiction semblable à celle de Jésus-Christ
crucifié quand il bénit ses enfants sur la croix.
Le sacrement de pénitence est pour nous, dans ce moment, le puits de
Jacob, dont l'eau est excellente et salutaire ; mais le puits est
profond : dénués de tout, nous ne pouvons y puiser et nous désaltérer ;
des gardes même en défendent l'entrée... Voilà la peinture de notre
position. Regardons la conduite de nos persécuteurs comme une punition
de nos péchés ! Il est certain que si nous pouvions approcher de ce
puits avec foi, nous y trouverions Jésus-Christ parlant à la
Samaritaine. Mais ne perdons pas courage ! descendons jusque dans la
vallée de Béthulie, où nous trouverons plusieurs sources qui ne sont
pas gardées, où nous pourrons étancher tranquillement notre soif. Que
Jésus-Christ habite dans nos cœurs ! Que son Esprit-Saint les enflamme,
et nous trouverons en nous cette source d'eau vive qui suppléera au
puits de Jacob. Jésus-Christ, comme souverain pontife, fait
lui-même d'une manière ineffable dans Ia confession que nous faisons Ã
Dieu, ce qu'il aurait fait dans tout autre temps par le ministère des
prêtres, et cette confession a un avantage que les hommes ne peuvent
nous ravir ; c'est pourtant en nous Jésus-Christ qui s'occupe de nous
continuellement ! Nous devons la faire dans tous les temps, dans tous
les lieux et dans toutes les positions possibles. C'est une chose digne
d'admiration et de reconnaissance de voir que ce que le monde fait pour
nous éloigner de Dieu et de son Eglise nous en approche davantage.
La confession ne doit pas être seulement un remède pour tous les péchés
passés ; elle doit être un préservatif pour Ies péchés à venir. Si nous
réfléchissons sérieusement sur cette double efficacité du sacrement de
pénitence, nous pourrons avoir beaucoup à nous humilier et à gémir ! Et
nous y serons d'autant plus fondés que notre avancement dans la vertu
aura été plus lent et que nous serons touiours trouvés les mêmes avant
et après nos confessions. Nous pouvons actuellement réparer tous ces
défauts, qui venaient d'une trop grande confiance dans l'absolution, et
de ce qu'on n'approfondissait pas assez ses plaies !... Obligée
maintenant de gémir devant Dieu, l'âme fidèle s'occupe à considérer
toutes ses difformités ; là , aux pieds du Sauveur, et pénétrée de la
douleur et du repentir, elle y reste dans le silence, ne lui parlant
que par ses larmes, comme la pécheresse de l'Evangile, voyant d'un côté
ses misères et de l'autre la bonté de Dieu. Elle s'anéantit devant sa
majesté, jusqu'à ce qu'elle dissipe ses maux par un de ses regards.
C'est là que la lumière divine éclaire son cœur contrit et humilié et
lui découvre jusqu'aux atomes qui peuvent l'obscurcir. Que cette
confession à Dieu soit pour vous une pratique journalière, courte mais
vive, et que de temps en temps vous la fassiez depuis une époque
jusqu'à l'autre, comme chaque jour vous la faites de la journée (Ã
votre examen du soir).
Le premier fruit que vous en retirerez, outre la rémission de vos
péchés, ce sera d'apprendre à vous connaitre et à connaitre Dieu.
Le deuxième, d'être toujours présentés aux prêtres, si vous le pouviez,
ornés du caractière des miséricordes du Seigneur. Je crois avoir dit ce
que je devais, mes enfants, pour votre conduite à l'egard du sacrement
de pénitence. Je vais vous entretenir maintenant de la privation de
l'Eucharistie et, successivement, de tous les objets dont vous me
parlez dans votre lettre.
L'Eucharistie, le sacrement d'amour, avait pour vous bien des douceurs
et des avantages quand vous pouviez y participer ; mais maintenant que
vous en êtes privés, pour être les defenseurs de la vérité et de la
justice, vos avantages sont les mêmes ; car qui aurait osé approcher de
cette table si Jésus-Christ ne nous en eût pas fait un précepte et si
l'Eglise, qui désire que nous nous fortifiions par ce pain de vie, ne
nous eût invités à le manger par la voix de ses ministres, qui nous
revêtaient de la robe nuptiale ? Mais si nous comparons l'obéissance
pour Iaquelle nous en sommes privés à celle qui nous y conduisait, il
sera aisé de juger du mérite.
Abraham obéit en immolant son fils et en ne l'immolant pas : mais son
obéissance fut bien plus grande quand il mit la main à l'épée que quand
il remit son épée dans le fourreau.
Nous obéissons en nous approchant de l'Eucharistie ; mais en nous
retirant de ce sacrifice nous nous immolons nous-mêmes. Altérés de la
soif de la justice, et nous privant du sang de l'agneau, qui seul peut
l'étancher, nous sacrifions notre propre vie autant qu'il est en nous.
La sacrifice d'Abraham fut d'un instant ; un ange arrêta le glaive ; le
nôtre est journalier et se renouvelle toutes les fois que nous adorons
avec soumission la main de Dieu, qui nous éloigne de ses autels, et ce
sacrifice est volontaire.
C'est être avantageusement privés de l'Eucharistie que d'élever
l'étendard de la croix pour la cause de Jésus-Christ et la gloire de
son Eglise. - Observez, mes enfants, que Jésus-Christ, après avoir
donné son corps, ne fit aucune difficulté de mourir pour nous. Voilà la
conduite du chrétien dans ses persécutions : la croix succède Ã
l'Eucharistie. Que l'amour de l'Eucharistie ne nous éloigne donc pas de
la croix ! C'est montrer et faire un glorieux progrès dans la gloire de
l'Evangile que de sortir du cénacle pour monter au Calvaire. Oui, je ne
crains pas de le dire, quand l'orage de la malice des hommes gronde
contre la vérité et la justice, il est plus avantageux aux fidèles de
souffrir pour Jésus-Christ que de participer à son corps sacré par la
communion.
Il me semble entendre le Sauveur nous dire : « Ah ! ne craignez pas
d'être séparés de ma table pour là confession de mon nom ! C'est une
grâce que je vous fais, qui est un bien rare ; réparez par cette
humiliation, privation qui me glorifie, toutes les communions qui me
déshonoraient. Sentez cette grâce : vous ne pouvez rien faire sans moi,
et je mets entre vos mains un moyen de faire ce que j'ai fait pour
vous, et de me rendre avec magnificence ce que je vous ai donné de plus
grand ! Je vous l'ai donné : lorsque vous vous en êtes séparés pour
être fidèles à mon service, vous rendez à ma vérité ce que vous aviez
reçu de ma charité. Je n'ai rien pu vous donner de plus grand, et vous
ne pouvez aussi me don-ner rien de plus grand. Votre reconnaissance
égale, par la grâce que je vous ai faite, la grandeur du don que je
vous ai fait. Consolez-vous, si je ne vous appelle pas à verser votre
sang comme les martyrs : voilà le mien pour y suppléer ; toutes les
fois qu'on vous empêchera de le boire, je vous tiendrai le même compte
que si vous aviez répandu le vôtre ; et le mien est infiniment plus
précieux... »
C'est ainsi que nous trouvons l'Eucharistie dans la privation même de
l'Eucharistie ; d'un autre côté qui peut nous séparer de Jésus-Christ
et de son Eglise dans la communion, en nous approchant par la foi de
ses autels d'une manière d'autant plun efficace qu'elle est plus
spirituelle et plus éloignée des sens ?
C'est ce que j'appelle communier spirituellement, en s'unissant aux
fideles qui peuvent le faire, dans les divers lieux de la terre. Cette
communion vous était familière dans le temps où vous pouviez approcher
de la Sainte Table : vous en connaissez les avantages et la manière ;
c'est pourquoi je ne vous en entretiens pas.
Je vais vous exposer ce que l'Ecriture Sainte et les Annnales de
l'Eglise m'offrent de réflexions sur la privation de la messe et la
nécessité d'un sacrifice continuel pour les fidèles, dans les temps de
persécution, et cela brièvement. Donnez, mes enfants, une attention
particulière aux principes que je vais rappeler ; ils tiennent à votre
édification. Rien n'arrive sans la volonté de Dieu : que nous avons un
culte qui nous permette d'assister à la messe ou que nous en soyons
privés, nous devons être également soumis à sa volonté sainte et, dans
toutes les circonstances, soyons dignes du Dieu que nous servons ! Le
culte que nous devons à Jésus-Christ est fondé sur l'assistance qu'il
nous donne et sur la nécessité que nous avons de son secours. Ce culte
nous trace des devoirs comme fidèles isolés, ainsi qu'il nous en
traçait autrefois dans l'exercice public de notre sainte religion.
Comme enfants de Dieu, selon le témoignage de saint Pierre et de saint
Jean, nous participons au sacerdoce de Jésus-Christ pour offrir des
prières et des vœux ; si nous n'avons pas le caractère de l'ordre pour
sacrifier sur les autels visibles, nous ne sommes pas sans hosties,
puisque nous pouvons l'offrir dans le culte de notre amour en
sacrifiant nous-mêmes Jésus-Christ à son Père sur l'autel visible de
nos cœurs. Fidèles à ce principe, nous recueillerons toutes les grâces
que nous aurions pu recueillir si nous eussions assisté au saint
sacrifice de la messe. La charité nous unit à tous les fidèles de
l'univers qui oftrent ce divin sacrifice ou qui y assistent. Si l'autel
materiel ou les espèces sensibles nous manquent, il n'y en a pas non
plus dans le ciel, où Jésus-Christ est offert de la manière la plus
parfaite.
Oui, mes enfants, les fidèles qui sont sans prêtres, étant eux-mêmes
prêtres et rois, selon saint Pierre, offrent leurs sacrifices sans
temple, sans ministres et sans rien de sensible ; il n'est besoin que
de Jésus-Christ pour l'offrir, pour le sacrifice du cœur, ou la victime
doit être consumée par le feu de l'amour du Saint-Esprit, c'est être
uni à Jésus-Christ, dit saint Clément d'Alexandrie, par les paroles,
par les actions et par le cœur. Nous lui sommes unis par nos paroles
quand elles sont vraies, par nos actions quand elles sont justes et par
nos cœurs quand la charité les enflamme. Ainsi, disons la vérité,
n'aimons que la vérité, alors nous rendrons à Dieu la gloire qui lui
est due. Quand nous sommes vrais dans nos paroles, justes dans nos
actions, soumis à Dieu dans nos desirs et nos pensées, en ne parlant
que par lui seul, en le louant de ses dons et en nous humiliant de nos
infidélités, nous offrons un sacrifice agréable à Dieu, qui ne peut
nous être ôté. « Le sacrifice que Dieu demande est un esprit pénétré de
douleur, dit le saint roi David ; vous ne mépriserez pas, ô mon Dieu,
un cœur contrit et humilité » (Ps. 50).
Il me reste à considérer l'Eucharistie comme viatique : vous pouvez en
être privés à la mort ; je dois vous éclairer et vous prémunir contre
une privation si sensible. Dieu, qui nous aime et nous protège, a voulu
nous donner son corps aux approches de la mort pour nous fortifier dans
ce dangereux passage. Lorsque vous portez vos regards sur l'avenir, que
vous vous voyez dans votre agonie, sans victime, sans extrème-onction
et sans aucune assistance de la part des ministres du Seigneur, vous
vous regardez comme dans l'abandon le plus triste et le plus affligeant
!
Consolez-vous, mes enfants, dans la confiance que vous devez à Dieu ;
ce père tendre répandra sur vous ses grâces, ses bénédictions et ses
miséricordes, dans ces moments terribles que vous redoutez, avec plus
d'abondance que si vous pouviez être assistés par ses ministres, dont
vous n'êtes privés que parce que vous n'avez pas voulu l'abandonner
lui-même.
L'abandon et le délaissement où nous redoutons de nous trouver
ressemble à celui du Sauveur sur la croix, lorsqu'il disait à son Pere
: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? » - Ah ! que,
- ces paroles sont instructives : vos peines et vos délaissements vous
conduisent à vos glorieuses destinées en terminant votre carrière comme
Jésus-Christ termina la sienne. Jésus, dans les souffran-ces, dans son
abandon et sa mort, était dans l'union la plus intime avec son Père.
Dans vos peines et vos délaissements, soyez-lui de même unis, et que
votre dernier soupir soit comme le sien : que la volonté de Dieu
s'accomplisse.
Ce que j'ai dit de la privation du viatique à la mort, je le dirai
aussi de l'extrême-onction. Si je meurs entre les mains de personnes
qui, non seulement ne m'assistent pas, mais qui m'insultent, je serai
d'autant plus heureux que ma mort aura plus de conformité avec celle de
Jésus-Christ, qui fut un spectacle d'opprobres à toute la terre !...
Crucifié par les mains de ses ennemis, il est traité comme un voleur et
meurt entre les deux larrons ! il était la sagesse même, il passe pour
un insensé ; il était la vérité, et il passe pour un fourbe et un
séducteur ! Les pharisiens et les scribes ont triomphé de lui et en sa
présence ! Enfin, ils se sont rassasiés de son sang ! Jésus-Christ est
mort dans l'infamie du supplice le plus honteux et dans les douleures
plus sensibles ! Chrétiens, si votre agonie et votre mort sont à vos
ennemis une occasion de vous insulter et de vous traiter avec opprobre,
quelle fût celle de Jésus-Christ ? Je ne sais si l'ange qui fut envoyé
pour suppléer à la dureté et à l'insensibilité des hommes ne le fut
point pour nous apprendre que dans une telle rencontre nous recevons la
consolation du ciel quand celles de la terre nous manquent. Ce ne fut
point sans un dessein particulier de Dieu que les apôtres, qui eussent
dû consoler Jésus-Christ, demeurèrent dans un assoupissement profond.
Que le fidèle ne s'étonne donc pas de se trouver sans prêtre à sa
dernière heure. Jésus-Christ fait des reproches à ses apôtres de ce
qu'ils dormaient, mais il ne leur en fait point de ce qu'ils le
laissèrent sans consolation, pour nous apprendre que, si nous entrons
dans le Jardin des Oliviers, si nous montons au Calvaire, si nous
expirons seuls et sans secours humains, Dieu veille sur nous, nous
console et suffit à tous nos besoins. Fidèles qui craignez les suites
du moment actuel, portez vos regards sur Jésus : fixez-le,
contemplez-le, il est votre modèle ; je n'ai rien de plus à vous dire
sur ce sujet.
Apres l'avoir contemplé, craindrez-vous encore la privation des prières
et des cérémonies que l'Eglise a établies pour honorer votre agonie,
votre mort et votre sepulcre ? Pensez que la cause pour Iaquelle vous
souffrez et mourrez rend à cette privation une nouvelle gloire et vous
donne le mérite du dernier trait de ressemblance que vous pouvez avoir
avec Jésus-Christ. La Providence a permis et voulu, pour notre
instruction, que les pharisiens missent des gardes au sépulcre pour
garder le corps de Jésus crucifié; elle a voulu qu'après la mort même
son corps restât entre les mains de ses ennemis pour nous apprendre que
quelque longue que soit la domination de nos ennemis, nous devons la
souffrir avec patience et prier pour eux.
Saint Ignace, martyr, qui avait tant d'ardeur pour être dévoré par les
bêtes, ne préféra-t-il pas les avoir pour sépulcre au plus beau
mausolée ? Les premiers chrétiens, que l'on livrait aux bourreaux, se
sont-ils jamais mis en peine de leur agonie et de leur sépulture ? Tous
étaient sans inquiétude de ce qu'on ferait de leur corps. Oui, mes
enfants, quand on se fie à Jésus-Christ pendant la vie, on se fie bien
à lui après sa mort.
Jésus sur la croix et près d'expirer vit les femmes qui l'avaient suivi
depuis la Galilée qui se tenaient éloignées ; sa mère, Marie-Madeleine,
et le disciple bien-aimé étaient auprès de la croix dans l'abattement,
le silence et la douleur !... Voilà , mes enfants, l'image de ce que
vous verrez : la plupart des chrétiens plaignent ceux d'entre les
fidèles qui se trouvent livrés à la persécution, mais ils se tiennent
éloignés ; quelques-uns, comme la mère de Jésus, approchent de la
victime innocente que l'iniquité immole. Je remarque, avec saint
Ambroise, que la mère de Jésus, au pied de la croix, savait que son
fils mourait pour la rédemption des hommes et que, désirant d'expirer
avec lui pour l'accomplissement de cette grande Å“uvre, elle ne
craignait point d'irriter les Juifs par sa présence et de mourir avec
son divin Fils. Quand vous verrez, mes chers enfants, mourir quelqu'un
dans le délaissement ou sous le glaive de la persécution, imitez la
mère de Jésus, et non les femmes qui l'avaient suivi de Galilée. Soyez
pénétrés de cette vérité : que le temps de mourir le plus glorieux et
le plus salutaire est lorsque la vertu est la plus forte dans notre
cœur ; on ne doit pas craindre pour le membre deJésus-Christ quand il
est dans la souffrance ! Assistons-le, ne fût-ce que par nos regards et
par nos larmes.
Voilà , mes enfants, ce que j'ai cru devoir vous dire : je le crois
suffisant pour répondre à vos demandes et tranquilliser votre piété ;
j'ai posé les principes sans entrer dans aucun détail ; ils me
paraissent inutiles. Vos fermes réflexions y suppléeront aisément et
vos conversations, si jamais la Providence le permet, auront de
nouveaux désirs. Je dois ajouter, mes enfants, que vous ne devez point
vous affliger du spectacle étonnant dont nous sommes témoins. La foi ne
s'allie point à ces terreurs; le nombre des élus est toujours fort
petit. Craignez seulement que Dieu ne vous reproche votre peu de foi et
de n'avoir pu veiller une heure avec lui. Je vous avouerai cependant
que l'humanité peut s'affliger, mais, en vous faisant cet aveu, je
dirai que la foi doit se réjouir.
Dieu fait bien toutes choses : portez ce jugement, mes enfants, il est
le seul qui soit digne de vous. Les fidèles eux-mêmes le portaient
lorsque le Sauveur faisait des guérisons miraculeuses. Ce qu'il fait Ã
présent est bien plus grand : dans sa vie mortelle, il guérissait les
corps ; actuellement, il guérit les âmes et complète par la tribulation
le petit nombre des élus.
Quels que soient les desseins de Dieu sur nous, adorons la profondeur
de ses jugements et mettons en lui toute notre confiance. S'il veut
nous délivrer, le moment est proche. Tous s'élévent contre nous : nos
amis nous oppriment, nos parents nous traitent en étrangers ! Les
fidèles qui participent aux saints mystères avec nous sont détournés
par le seul regard. On craint de dire non seulement que comme nous on
est fidèle à sa patrie, soumis à ses lois, mais fidèles à Dieu ; on
craint de dire que l'on nous chérit, et même qu'on nous connaît. Si
nous sommes sans secours du côté des hommes, nous voilà du côté de
Dieu, qui, selon le prophète-roi, délivrera le pauvre du puissant et le
faible qui n'avait aucun secours. L'univers est l'ouvrage de Dieu ; il
le régit, et tout ce qui arrive est dans les desseins de sa Providence.
Quand nous croyons que la désertion va être générale, nous oublions
qu'il suffit d'un peu de foi pour rendre la foi à la famille de
Jésus-Christ, comme un peu de levain fait fermenter toute la pâte.
Ces événements extraordinaires, où la multitude lève la hache pour
saper l'ouvrage de Dieu, servent merveilleusement à manifester sa
toute-puissance.
Dans tous les siècles, on verra ce que vit le peuple de Dieu quand le
Seigneur voulut, par Gédéon, manifester sa toute-puissance contre les
Madianites. Il lui fit renvoyer presque toute son armée. Trois cents
hommes seulement furent conservés, et encore sans armes, afin que la
victoire fut visiblement reconnue venir de Dieu. Ce petit nombre des
soldats de Gédéon est la figure du petit nombre des élus vivant dans ce
siècle. Vous avez vu, mes enfants, avec- l'étonnement le plus
douloureux, que de la multitude de ceux qui étaient appelés (puisque
toute la France était chrétienne), le plus grand nombre, comme dans
l'armée de Gédéon, est demeuré faible, timide, craignant de perdre leur
intérét temporel : Dieu les renvoie. Dieu ne veut se servir dans sa
justice que de ceux qui se donnent entièrement à lui. Ne nous étonnons
donc pas du grand nombre de ceux qui le quittent ; la vérité triomphe,
quelque petit que soit le nombre de ceux qui l'aiment et lui restent
attachés. Pour moi, je ne forme qu'un vœu : c'est le désir de saint
Paul. Comme enfant de l'Eglise, je souhaite la paix de l'Eglise ; comme
soldat de Jésus-Christ, je souhaite de mourir sous ses étendards.
Si vous avez les ouvrages de saint Cyprien, lisez-les, mes chers
enfants, c'est surtout aux premiers siècles de l'Eglise qu'il faut
remonter pour trouver des exemples dignes de nous servir de modèles.
C'est dans les livres saints et dans ceux des premiers défenseurs de la
foi qu'il faut se former une idée précise de l'objet du martyre et de
la confession du nom de Jésus-Christ : c'est là vérité et la justice,
ce sont les objets augustes, éternels, immuables de la foiqu'il faut
confesser. C'est l'Evangile, les instructions humaines, quelles
qu'elles soient, sont variables et temporelles ; mais l'Evangile et la
loi de Dieu tiennent à l'éternité. C'est en méditant cette distinction
que vous verrez clairement ce qui est à Dieu et ce qui est à César,
car, à l'exemple de Jésus-Christ, vous devez rendre avec respect, Ã
l'un et à l'autre, ce que vous leur devez.
Toutes les églises et tous les siècIes sont d'accord : il ne peut y
avoir rien de si saint et de si glorieux que de confesser le nom de
Jésus-Christ. Mais rappelez-vous, mes enfants, que pour le confesser
d'une manière digne de la couronne que nous désirons, c'est dans le
temps où l'on souffre davantage qu'il faut faire paraître une plus
grande sainteté. On ne trouve rien de si beau que ces paroles de saint
Cyprien lors-qu'il loue toutes les vertus chrétiennes dans les
confesseurs de Jésus-Christ : « Vous avez toujours observé, leur
dit-il, le commandement du Seigneur avec une vigueur digne de votre
fermeté ; vous avez conservé la simplicité, l'innocence, la charité, la
concorde, la modestie et I'humilité ; vous vous êtes acquittés de votre
ministère avec beaucoup de soin et d'exactitude ; vous avez fait
paraître de la vigilance pour aider ceux qui avaient besoin de secours
; de la compassion pour les pauvres ; de la constance pour défendre la
vertu ; du courage pour maintenir la sévérité de la discipline, et afin
qu'il ne manquât rien à ces grands exemples de vertu que vous avez
donnés, voilà que, par une confession et des souffrances généreuses,
vous animez hautement vos frères au martyre et leur en tracez le
chemin. »
J'espère, mes chers enfants, quoique Dieu ne vous appelle pas au
martyre, ni à aucune confession douloureuse de son nom, pouvoir un jour
vous parler comme il parlait aux confesseurs Célerin et Aurèle, et
louer en vous plus votre humilité que votre constance, et vous
glorifier plus de la sainteté de vos mœurs que de vos peines et de vos
plaies...
En attendant cet heureux moment, profitez de mes conseils et
soutenez-vous vous-même par mon exemple. Dieu veille sur vous. Notre
espérance est fondée ; elle nous montre ou la persécution qui finit ou
la persécution qui nous couronne. Dans l'alternative de l'une ou de
l'autre, je vois l'accomplisse-ment de notre destinée. Que la volonté
de Dieu soit faite, puisque de quelque manière qu'il nous délivre, ses
misericordes éternelles se répandent sur nous.
Je finis, mes chers enfants, en vous embrassant et en priant Dieu pour
vous ; priez-le pour moi et recevez ma bénédiction paternelle, comme le
gage de ma tendresse envers vous, de ma foi et de ma résignation
sincère à n'avoir pas d'autre volonté que celle de Dieu.
Demaris.
***
Monseigneur de Marbœuf,
archevêque légitime de Lyon, écrivait, du fond de l'exil, aux fidèles
de son diocèse, au sujet de la privation des secours religieux :
« Basse-Saxe, 6 décembre 1796.
Mes très chers frères,
Si le malheur des temps vous prive d'assister au saint-sacrifice de la
messe et de participer aussi souvent que vous le désirez aux saints
mystères, ne craignez point et ne vous découragez point pour cela ;
vous n'y perdrez rien. Dieu verra avec complaisance que, malgré ces
privations, vous conservez dans votre cœur la confiance et la fidélité
que vous lui devez ; il entendra vos prières domestiques et les vœux
que vous formerez pour le rétablissement de son culte ; il en sera
touché et, en attendant les moments marqués par sa sagesse pour faire
luire sur nous des jours plus sereins, lui-même vous tiendra lieu de
pasteur, de guide, de soutien ; il répandra dans vos âmes une mesure
abondante de grâces, de force, de constance pour vous mettre en état de
résister à toutes les tentations de l'ennemi, et, dans le temps de la
plus grande disette des secours extérieurs de la religion, il vous fera
recueillir intérieurement des trésors de bénédiction. Demeurez donc
sans inquiétude dans la bergerie d'un si bon maître ; invoquez-le avec
confiance dans toutes vos nécessités et soyez certains que la
nourriture spirituelle dont vous pouvez avoir besoin, en telle
situation que vous vous trouviez, ne vous manquera jamais. Vous la
recevrez immédiatement de la main de Dieu, lorsque le maIheur des temps
vous privera de l'usage des moyens qu'il a établis pour être les canaux
de sa grâce. »
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